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s o c i é t é P ersonne ne travaille la pierre comme moi, j’ai dû inventer un vocabu- laire propre », lance Serge Ducourant au moment de dévoiler le mysté- rieux processus qui se déroule dans sa maison-atelier isséenne. Au commencement se trouve la bétonnière dans laquelle il élabore d’abord une « pierre liquide », à base de chaux ou de béton. Une fois solidifié sous forme de plaque, ce support minéral est creusé, griffé par ses scalpels et ses couteaux pointus puis rempli de motifs qui resti- tuent peu à peu le modèle choisi. Le salon-galerie donne un bon aperçu de cette technique grâce à laquelle il « minéralise » de grands maîtres : Picasso, Van Dongen, Schiele… Ces tableaux se regardent autant qu’ils se déchiffrent de la paume puisque le sable « dont on peut faire varier la taille des grains comme un photographe utiliserait différentes qualités de papier » crée des effets de relief. Ni tailleur de pierre, ni sculpteur, Serge Ducourant a lui-même forgé le terme de « ciseleur de pierre » pour se désigner. Et bien qu’il soit le premier à s’en réclamer, on ne devient pas ciseleur de pierre en un jour ! « Depuis toujours j’ai un côté artistique, je me suis essayé au jazz, au rhythm'n'blues au reggae puis à la salsa. Mais il faut croire que cela ne suffisait pas, j’avais besoin de m’exprimer autrement qu’avec un saxophone. Il y a déjà quinze ans que je me suis mis à faire des fresques », raconte-t-il. Transporté par cet art « qui dure depuis des siècles », il se rappelle sa sidération devant la chapelle Sixtine ou la grotte de Lascaux, d’ailleurs reconstituée par ses soins chez un particulier dans le Sud-Ouest. Mais pour qu’il se décide à en faire un métier, il a fallu « l’opportunité » d’un licen- ciement économique. En fondant son commerce, le ciseleur de pierre devient aussi « marchand de sables ». Dès lors, il n’aura de cesse d’adapter son art aux contraintes de la décoration. Au Conservatoire des Ocres de Roussillon, il perfectionne sa maîtrise de la fresque en appri- voisant le stuc, le grafito ou le tadelakt marocain. À la place de la fresque classique « qui oblige à casser les murs et fait de beaucoup de poussière », lui vient l’idée d’une version amovible, moins encombrante. Puis des pigments poudrés et lumineux de la préhistoire, il se projette vers les matériaux du futur, s’appropriant le béton fibré, « rempli de petites fibres de verre ce qui le rend plus résistant », lisse et velouté au toucher. Comme la chaux, le béton se décline sous forme de tableaux sauf que ces derniers sont aussi encastrables dans le mur d’une salle de bain, lessivables à souhait, et que Serge Ducourant sait les rendre luminescents dans l’obscurité. Ce matériau fait aussi de jolis échiquiers et plateaux de table. Le catalogue d’une cinquantaine d’œuvres, consultable en ligne, est, à son image, éclectique. Peintres européens du début du vingtième siècle, Lascaux, musique de Beethoven à Miles Davis, Hokusai, Gaudi, calli- graphie perse ou asiatique, masques africains, et même photographies, comme ces montagnes dans la brume, capturées par le moine boud- dhiste Mathieu Ricard.... Sur les murs de son atelier, la pierre de Rosette, dont les hiéroglyphes le font soupirer, n’attend plus d’être déchiffrée mais à nouveau incrustée dans la pierre. Sponta- nément, il va vers d’autres cultures que la sienne : « Ma femme est franco-sénégalaise, j’ai des amis japonais. J’aime le mélange et je suis heureux quand les gens affichent leur sensibilité au beau de l’autre », explique-t-il. Sa touche personnelle réside aussi dans ses talents d’infographiste. Pour mieux adapter le rendu au décor, il se déplace à domicile avec un appareil capable « d’iden- tifier une teinte parmi des milliers d’autres », peut adapter le format de l’œuvre retenue aux volumes de la pièce et livre une simulation numérique du projet. Mais là s’arrêteront les confidences du marchand de sables, il ne faudrait pas donner des idées à un géant suédois... n Pauline Vinatier marchand-de-sables.com
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