mai-juin 2013 - n°29
        
        
          |
        
        
          HDS.
        
        
          mag
        
        
          |
        
        
          
        
        
          po r t r a i t
        
        
          ©
        
        
          denis
        
        
          rouvre
        
        
          ecret, Ibrahim Maalouf ?
        
        
          Oui, sans doute. Mais affable
        
        
          aussi, disert quand le sujet
        
        
          le passionne, pas ennemi
        
        
          à l’occasion de l’humour
        
        
          pince-sans-rire. Bref, un homme complexe.
        
        
          Et un musicien d’une singulière générosité. À
        
        
          trente-deux ans, le compositeur-trompettiste,
        
        
          premier prix du Conservatoire de Paris, lau-
        
        
          réat de concours internationaux, enchaîne les
        
        
          collaborations. On pourrait en faire une litanie
        
        
          façon Vincent Delerm, avec qui il a d’ailleurs
        
        
          beaucoup travaillé. Au hasard des préférences
        
        
          de chacun : Lhasa de Sela, Bojan Z, Tigran
        
        
          Hamasyan, Oxmo Puccino, -M-, l’orchestre
        
        
          de chambre de Paris, Serge Teyssot-Gay (Noir
        
        
          Désir), Sting, Amadou et Mariam…
        
        
          Le point commun ? Cette trompette à quatre
        
        
          pistons qui lui permet de jouer les quarts de
        
        
          ton des musiques arabes traditionnelles – et
        
        
          des envolées contemporaines. « C
        
        
          
            omme si
          
        
        
          
            vous ajoutiez des touches supplémentaires entre les
          
        
        
          
            touches blanches et noires du piano. »
          
        
        
          Une inven-
        
        
          tion de son père et mentor, Nassim Maalouf :
        
        
          
            « Cette trompette, c’est le fil conducteur, un vecteur
          
        
        
          
            de création formidable parce qu’il est unique. For-
          
        
        
          
            cément, cela stimule mon imaginaire. »
          
        
        
          Chez ce compositeur qui a longtemps rêvé
        
        
          d’être architecte, par métaphore sans doute,
        
        
          la perspective sonore est unique, immédia-
        
        
          tement reconnaissable, et la sonorité somp-
        
        
          tueuse, gourmande. Son dernier album,
        
        
          
            Wind
          
        
        
          , est né d’une invitation de la Cinéma-
        
        
          thèque française à composer de la musique
        
        
          autour d’un filmmuet de René Clair. Quelque
        
        
          chose de fluide, gorgé d’atmosphères, enregis-
        
        
          tré à New York.
        
        
          
            « J’avais envie depuis longtemps,
          
        
        
          
            à ma manière et modestement, de rendre hom-
          
        
        
          
            mage à ce qui me touche chez Miles Davis. C’est
          
        
        
          
            avec l’ambiance new-yorkaise en noir et blanc
          
        
        
          
            des années cinquante et soixante de Miles que
          
        
        
          
            j’ai découvert le jazz, celui que je préfère. Cette
          
        
        
          
            sensibilité, cette fragilité, cette simplicité, cette
          
        
        
          
            manière de ne pas vouloir absolument faire de
          
        
        
          
            la démonstration mais d’être dans une certaine
          
        
        
          
            pudeur. »
          
        
        
          Alors, du jazz, la musique d’Ibrahim Maa-
        
        
          louf ? Ou de la world ? Du traditionnel
        
        
          contemporain ? Un peu de tout, et beaucoup
        
        
          d’Ibrahim. D’ailleurs, n’espérez pas qu’il
        
        
          fasse défiler son
        
        
          
            best of 
          
        
        
          :
        
        
          
            « Je n’ai pas vraiment
          
        
        
          
            d’influences, je le dis vraiment avec beaucoup
          
        
        
          
            de sincérité : je pourrais sortir des noms pour
          
        
        
          
            me rapprocher d’eux esthétiquement, mais non.
          
        
        
          
            Freud détestait les artistes et notamment les musi-
          
        
        
          
            ciens, il disait qu’ils étaient très centrés sur eux.
          
        
        
          
            Je pense vraiment que Freud m’aurait détesté ! »
          
        
        
          Pour ce musicien hypersensible et ultra-
        
        
          cultivé, bon sang ne saurait mentir. Fils de
        
        
          musiciens, petit-fils d’écrivain-journaliste-
        
        
          poète-peintre, neveu d’Amin Maalouf, acadé-
        
        
          micien français :
        
        
          
            « On est très famille, on se voit
          
        
        
          
            très souvent, on est assez orientaux de ce côté là !
          
        
        
          
            Et dans ma famille, l’art, l’expression artistique,
          
        
        
          
            littéraire, la liberté, la transmission ont beau-
          
        
        
          
            coup d’importance. D’ailleurs, quasiment tout
          
        
        
          
            le monde enseigne ! »
          
        
        
          Et lui également, qui est
        
        
          aujourd’hui professeur aux conservatoires de
        
        
          Paris et d’Aubervilliers-La Courneuve.
        
        
          Et puis, évidemment, il y a le Liban. Où il est
        
        
          né et qu’il a quitté très jeune avant d’y reve-
        
        
          nir, souvent. Pas une blessure mortelle, mais
        
        
          une cicatrice vive qui, dans la vie d’Ibrahim
        
        
          Maalouf, mord sur d’autres cicatrices plus
        
        
          intimes, plus secrètes, dont il dit peu sinon
        
        
          qu’elles l’ont conduit à composer
        
        
          
            « comme
          
        
        
          
            une thérapie »
          
        
        
          .
        
        
          Une rencontre avec Ibrahim Maalouf peut
        
        
          vous emmener loin : c’est le privilège des
        
        
          vrais artistes. Qu’on taille la bavette entre deux
        
        
          répétitions ou, mieux encore, qu’on vive inten-
        
        
          sément l’un de ses concerts. Quand le rythme
        
        
          frénétique chasse la mélancolie déchirante,
        
        
          quand l’introspection donne son sens à la fête.
        
        
          
            « Évidemment, j’essaie d’être heureux, comme
          
        
        
          
            la plupart des gens. Et comme tout le monde
          
        
        
          
            également, je suis fondamentalement déprimé,
          
        
        
          
            comme tout le monde la mort est présente au
          
        
        
          
            quotidien, j’essaie de composer avec – et ce n’est
          
        
        
          
            pas seulement un jeu de mots. Quand on a grandi
          
        
        
          
            en côtoyant la mort, il y a, forcément, une certaine
          
        
        
          
            gravité dans tout propos. C’est ma manière d’être
          
        
        
          
            militant, ma manière de défendre le bonheur, ma
          
        
        
          
            manière finalement de vivre. »
          
        
        
          n
        
        
          
            Didier Lamare
          
        
        
          La Défense Jazz Festival, du 29 juin au 7 juillet. Concerts
        
        
          gratuits.
        
        
        
          
            LE JEUNE TROMPETTISTE OUVRE LE 29 JUIN LE
          
        
        
          
            LA DÉFENSE JAZZ FESTIVAL AVEC SES DERNIÈRES
          
        
        
          
            COMPOSITIONS :
          
        
        
          
            
              WIND
            
          
        
        
          
            ENTRE LES TOURS, ÇA SOUFFLE !
          
        
        
          
            S
          
        
        
          “
        
        
          “
        
        
          Je n’ai pas d’autre
        
        
          moyen d’expression
        
        
          fiable que la
        
        
          musique. Elle
        
        
          m’aide à trouver un
        
        
          certain équilibre
        
        
          entre l’intériorité et
        
        
          la jubilation. J’ai
        
        
          une envie
        
        
          extrêmement
        
        
          puissante de vivre,
        
        
          de faire des choses,
        
        
          de rencontrer du
        
        
          monde, de voyager,
        
        
          mais parallèlement,
        
        
          j’ai une conscience
        
        
          très forte et
        
        
          absolue de la
        
        
          fragilité de nos vies
        
        
          et de nos êtres.
        
        
          C’est cette
        
        
          ambiguïté qui
        
        
          nourrit ma musique.