mai-juin 2013 - n°29
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HDS.
mag
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
immeubles pour l’éternité – ce que
je refusais de faire -, leur travail à
eux était par définition éphémère.
J’ai donc proposé de recueillir leurs
œuvres et de les mettre à l’abri du
temps mais surtout pas des regards.
»
Au grand dam de ses collabo-
rateurs, ADG décide donc de
transformer l’ancien atelier de
serrurerie qu’il vient d’acheter à
Boulogne-Billancourt - deux cents
mètres carrés destinés au départ à
devenir ses bureaux - en « Ruche
du Tag ». Seen, Toxic, Rammelzee,
Bando, Quik…, les plus grands se
succèdent. Les murs de la cage
d’escalier, en passant par ceux
des couloirs et des deux étages,
peuvent en témoigner. Outre cette
unité de lieu, l’architecte impose
deux autres contraintes à ces ar-
tistes venus du monde entier. Il
leur fournit deux toiles horizon-
tales de 60 x 180 cm. Ils doivent
signer la première et peindre, sur
la seconde, ce que leur évoque
l’amour. «
On a raconté que j’avais
choisi ce format panoramique
pour évoquer les wagons des trains
,
s’amuse le Boulonnais.
Foutaises. À
l’époque je roulais en Smart. 180 cm
dé c ou v e r t e
l’arbre qui cache la forêt. Moi je
veux montrer la forêt. 
»
Il commence en 2009 avec l’expo-
sition TAG (pour Tag And Graffiti)
au Grand Palais à Paris. En cinq se-
maines, plus de 80 000 personnes
découvrent la collection « Amour »
qui compte alors trois cents toiles
créées par cent cinquante artistes
tous passés par Boulogne. Un suc-
cès mais qui aurait coûté à l’archi-
tecte passionné de vitesse son As-
ton Martin. Un an après, il réitère
pourtant à l’angle de l’avenue de
Wagram et de la rue de Prony dans
le 17
e
arrondissement. Il fait recou-
vrir un immeuble en travaux d’une
bâche de 2000m
2
où est reproduite
une soixantaine d’œuvres. Parallè-
lement, durant trois week-ends, 72
artistes sont invités à peindre « en
live » et leur toiles vendues ensuite
aux enchères au profit de l’associa-
tion Paris Tout P’tits qui aide les
familles démunies avec des enfants
en bas âge. Bilan : 435 000
récol-
tés. Enfin, à l’été 2011, pour célébrer
les quarante ans du pressionnisme,
Alain-Dominique Gallizia a orga-
nisé à Monaco la plus grande expo-
sition historique de graffitis sous le
haut patronage du prince Albert II.
«  
Son Altesse m’a demandé de retirer
les toiles qui pourraient choquer. Il a
été surpris de voir qu’il n’y en avait
pas. Il pensait que j’avais déjà fait le
tri. Mais c’est encore une idée reçue.
Il y a plus de vulgarité sur les murs
des toilettes de n’importe quel lycée que
dans ma collection. La pire insulte
pour un graffeur c’est “usurpateur”.
C’est dire
».
Ce sont sûrement tous ces pro-
jets, qui ont valu à ADG le surnom
de « Crazy Froggy » (la grenouille
folle). Son prochain objectif :
ouvrir un musée, pourquoi pas
sur l’île Seguin à Boulogne-Bil-
lancourt encore et toujours. En
attendant l’architecte se félicite
déjà de voir le nombre de galeries
exposant ses protégés multiplié
par soixante. «
Celles-là mêmes qui,
il y a dix ans, me conseillaient de tout
jeter à la poubelle. 
»
n
Émilie Vast
Photos : Olivier Ravoire
c’était la distance qui séparait mon
pare-brise de ma vitre arrière.  Quant
au thème imposé, l’amour, au départ
les artistes l’ont refusé. Puis ils ont
compris que, puisque personne ne
l’avait jamais fait, ils combattraient
à armes égales.
»
Pressionnisme
Car Alain-Dominique Gallizia
découvre peu à peu que le graffiti
est un « 
art de duel 
», un « 
art che-
valeresque 
» avec ses codes, sa hié-
rarchie, ses exploits et son éthique.
Au-delà de la métaphore, il reste
lucide. «
C’est un milieu très fermé,
très violent, très hétéro. 
» Devenu à
la fois mécène, commanditaire,
collectionneur, défricheur, ADG
est intarissable sur le sujet. «
Mais
je ne prétends pas avoir réussi à faire
partie de leur monde. Notre seul point
commun, c’est d’être des artistes de la
rue. Moi le premier, en tant qu’archi-
tecte. Pas d’architecte, pas de mur.
Pas de mur, pas de graffiti.
»
C’est en 1971 que le
New York
Times
révèle une nouvelle expres-
sion graphique, le tag, avec un
article consacré au désormais
légendaire Taki 183, un coursier
grec qui inscrit au marqueur par-
tout où il passe le diminutif de son
prénom et le numéro de sa rue.
L’arrivée de la bombe aérosol et des
premiers maîtres va donner nais-
sance à un véritable mouvement
pictural, le «  pressionnisme ».
« 
Le tag n’est qu’un paraphe comme
une signature au bas d’un document
administratif
, explique Alain-Domi-
nique Gallizia.
Alors que le graffiti
est une œuvre artistique. La bombe
est au pinceau ce que le violon est
au piano. Avec le piano, la note est
déjà faite. La bombe elle, comme le
violon, est extrêmement difficile à
maîtriser. C’est la distance, la vitesse,
l’inclinaison de la bombe et la pres-
sion sur la capsule qui déterminent
la largeur et la densité du trait. Il
faut quatre à cinq ans pour y arriver.
Beaucoup renoncent.
» ADG com-
pare le graffiti à la calligraphie
ou à l’enluminure. Les premiers
artistes se surnommaient d’ail-
leurs les
« writters »,
les écrivains.
Certains se comparaient même
aux moines copistes du Moyen
Âge. Le phénomène est importé
en France au début des années 80
par un jeune Franco-Américain,
Philippe Lehman, alias Bando,
originaire de Saint-Germain-des-
Prés. «
C’est une autre idée reçue.
Les graffeurs viennent des quartiers
chics. Ils ne quittent le centre de la
capitale et n’arrivent en banlieue que
pour trouver des terrains en friche.
»
À Paris, les peintres « attaquent »
les quais de Seine, les palissades
du Louvre et le terrain vague de
Stalingrad, lieu du premier grand
rassemblement international.
Bâche muséale
«
Chaque pays qui s’en est emparé
a enrichi cet art et ça continue en-
core
 », souligne Alain-Domique
Gallizia. États-Unis, Pays-Bas,
Iran, Chine, Chili, Australie, Au-
triche, Belgique, Islande, Afrique,
Allemagne... : sa collection est un
véritable panorama. Il possède
aussi de nombreuses esquisses
et dessins, preuve de l’importance
du travail préparatoire chez ces
artistes. «
Aujourd’hui, cet art figu-
ratif, caché pendant plus de qua-
rante ans, est à maturité et mérite
d’être enfin connu et reconnu. Bas-
quiat et Keith Haring ne sont que
ADG découvre que le graffiti
est un « art chevaleresque »
avec ses codes, sa hiérarchie,
ses exploits et son éthique.
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