

mars-avril 2015 - n°40
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ujourd’hui, il ne se verrait
pas faire autre chose que
de la musique. Pourtant, il y
a quelques années, il n’envisa-
geait pas d’en faire son métier.
Et ça c’était juste après le moment où il n’envi-
sageait pas d’en faire du tout. Rone, de son vrai
nom Erwan Castex, est né en 1980 à Boulogne-
Billancourt. Il grandit porte de Saint-Cloud,
à Paris. «
C’est dans le cadre très intimiste de la
maison que la musique est arrivée naturellement,
en douceur
», raconte-t-il. Entre le rock de sa sœur
de trois ans son aînée et la musique classique
et le jazz de sa mère. À l’adolescence, Erwan
échange des disques avec des copains et découvre
le rap. Au milieu de tout cela, il y a une leçon
catastrophique de piano et un vieux saxophone
acheté aux Puces. «
Quand j’ai découvert que je ne
jouerais jamais comme Charlie Parker, j’ai vite laissé
tomber.
» Il prend sa revanche quelques années
plus tard quand la musique électro entre dans
sa vie «
avec fracas
» selon sa propre expression.
«
Je découvre qu’il est possible de faire de la musique
avec un ordinateur et des machines. Ça m’ouvre
des horizons dingues. Ce qui me plaît alors c’est qu’il
n’y ait pas de règles, à l’opposé de l’image un peu
laborieuse et stricte du conservatoire.
»
La suite ? Il en est le premier surpris. «
J’enre-
gistrais pour moi dans ma chambre. Comme je suis
insomniaque, ça me faisait du bien
, se souvient-il.
Mais c’était personnel, je n’avais aucune ambition.
J’avais dû faire écouter ce que je faisais à deux ou
trois personnes
». Il faut dire qu’Erwan, c’est encore
lui qui le dit, est «
maladivement timide
». Du
genre à «
être fou amoureux d’une fille, lui graver
un CD mais ne jamais aller lui parler
». Un ami
le pousse à proposer ses morceaux à des maisons
de disques. Il en choisit trois. Toutes disent oui.
Erwan choisit Infiné. Rone – son nom de scène
est lui aussi un hasard de l’histoire, une faute
de frappe, un point oublié sur un flyer annonçant
un des premiers concerts de R.One (à prononcer
comme son prénom)– sort son premier album
Spanish Breakfast
en 2009. Suivra
Tohu Bohu
en 2012. Les deux sont salués par la critique et
le public. Le 31 octobre 2013, Rone joue pour
la première fois à l’Olympia. Il se produira aussi
aux Vieilles Charrues, aux Transmusicales –
en décembre dernier en tête d’affiche - et dans
des festivals en Belgique, au Canada et aux États-
Unis. Celui qui pendant longtemps s’est senti
«
comme un imposteur
» commence depuis peu
à dire et à se dire qu’il est vraiment musicien.
En février est sorti
Creatures
, un troisième album
toujours électro mais avec plus de voix, plus
d’instruments, plus de production… «
À mes
débuts quand on me demandait de définir mon
travail, je parlais de musique électronique bricolée.
Il n’y avait rien de péjoratif là-dedans. J’aime ce côté
artisanal. Mais cette fois, j’ai voulu aller plus loin,
j’ai donc travaillé notamment avec un ingénieur
du son.
» Et puis Erwan, malgré ses airs d’éternel
adolescent, petites lunettes, cheveux en bataille,
a mûri. «
Je grandis avec mes disques
, résume-t-il.
Le premier était maladroit, chétif, fragile… Le second
était plus costaud. Celui-là, c’est un album de papa,
parce que je l’ai écrit avec ma fille dans les pattes.
On l’entend d’ailleurs sur le disque. Ma musique
s’est un peu adoucie, elle a gagné en émotions et
le tempo s’est ralenti.
» Pour
Creatures
, Rone a
aussi multiplié les collaborations : un trompet-
tiste japonais, une chanteuse québécoise, Bryce
Dessner le guitariste de The National, François
Marry de François and The Atlas Moutain,
le violoncelliste Gaspard Claus, un fidèle, qui
l’a déjà accompagné et Étienne Daho. Rone
aime sortir des sentiers battus. «
Chaque colla-
boration est née d’une histoire différente. Mais tous
ces échanges m’intéressent. Cette énergie collective est
très importante surtout quand on est un musicien
électro et qu’on passe beaucoup de temps seul en
studio
». Au-delà de ses albums, Erwan a été
invité en résidence au festival d’Ambronay avec
des musiciens baroques et un pianiste, collaboré
avec le photographe Stéphane Couturier pour
une bande son et composé celle du film
La Femme à cordes
de Vladimir Mavounia Kouka
- qui avait réalisé le clip de
Spanish Breakfast
en
2011. Le cinéma et l’image en général tiennent
une place importante dans l’univers d’Erwan.
Il n’y a qu’à regarder l’univers visuel qui entoure
chacun de ses albums, ses pochettes, clips,
ses mises en scène. Il faut dire qu’après son
bac gestion, il s’était inscrit en fac de cinéma
à la Sorbonne Nouvelle. «
Le cinéma, c’est ce
que je pensais faire de ma vie. La musique, c’était
seulement une récré.
»
n
Émilie Vast
A
DEUX MOIS APRÈS LA SORTIE DE SON NOUVEL ALBUM,
IL SERA À L’ AFFICHE DE LA SOIRÉE ÉLECTRO
DU FESTIVAL CHORUS LE 4 AVRIL À LA DÉFENSE.
“
“
J’ai peur que ça
s’arrête du jour
au lendemain.
Je suis tellement
heureux de vivre
de ma musique.
Je ne vois pas ce
que je pourrais faire
d’autre. C’est une
de mes angoisses.
Comme quand je me
produis. Je suis
malade à en vomir.
Mais une fois sur
scène, je me sens
vivant. C’est les
montagnes russes,
un ascenseur
émotionnel.
Je ne peux plus
m’en passer.