janvier-février 2014 - n°33
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hds.
mag
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en t r e t i en
dit que le temps s’accélère. Cela
sous-entend que le temps a une
vitesse. Mais une vitesse, en géné-
ral, c’est la dérivée d’une certaine
quantité par rapport… au temps.
La vitesse du temps s’obtiendrait
donc en déterminant le rythme de
la variation du temps par rapport
à lui-même ! Paul Valéry disait à
propos du temps qu’il faut procé-
der à un nettoyage verbal. Il avait
raison. L’usage que l’on fait de ce
mot est tellement abusif que fina-
lement on ne peut plus le penser
précisément.
HDS
Alors que peut-on dire
du temps ?
ÉK : Le temps n’a pas de défini-
tion mais on peut lui attribuer
une fonction. C’est de garantir
la permanence du présent, c’est-
à-dire de faire en sorte que tout
instant présent une fois advenu
disparaisse pour laisser la place
à un nouvel instant présent, une
espèce de motricité permanente.
Sa fonction essentielle est de faire
en sorte qu’il y ait sans cesse un
présent. Et si c’est cela la fonc-
tion du temps, vous êtes d’accord
que cette fonction ne s’interrompt
jamais. Donc le temps ne passe
pas, il fait passer le présent.
HDS
Et la physique, que
dit-elle du temps ?
ÉK : Nous confondons sans
cesse le temps et les phéno-
mènes temporels. On parle du
temps philosophique, cosmique,
chimique, géologique… Mais il
n’y a pas de temps géologique. Il
y a des phénomènes géologiques
qui se passent dans le temps.
De la même façon, il n’y a pas
de temps psychologique. En re-
vanche notre rapport au temps
physique est infesté de facteurs
psychologiques. Le temps ne doit
pas être confondu avec les divers
déploiements qu’il rend possible
car quoi que vous fassiez dans
le temps, ça ne change rien au
temps. La science, elle, démontre
qu’il n’y a qu’un seul temps, le
temps physique, au sein duquel
se développent toutes sortes de
temporalités qui sont irréfutables.
Il existe une expérience – propre-
ment métaphysique – du temps
physique qui est celle de l’ennui.
C’est le temps mis à nu. Il se
dépouille alors de tout ce à quoi
il est d’ordinaire mêlé. L’ennui
désintoxique notre rapport au
temps : rien ne s’y passe sauf le
temps qui passe.
HDS
La physique a-t-elle
des certitudes ?
ÉK : Depuis Newton jusqu’à au-
jourd’hui, il y a eu de nombreuses
révolutions. Mais il y a une chose
qui n’a pas été remise en ques-
tion : c’est la causalité. Tout phé-
nomène est l’effet d’une cause qui
le précède. En vertu de ce prin-
cipe, le temps linéaire l’a emporté
sur le temps cyclique. Dans un
temps circulaire, le devenir re-
vient sur lui-même pour tout faire
réapparaître, si bien que ce qu’on
appelle la cause pourrait tout
aussi bien être l’effet et
vice versa
.
Un tel paradoxe ne l’est plus avec
un temps linéaire ordonnant les
événements selon un enchaîne-
ment chronologique indiscutable.
Le passé est donc intangible. Si
quelque chose a eu lieu, il sera
éternellement vrai qu’il a eu lieu
même s’il n’y a plus de trace. La
causalité dit donc l’interdiction
des voyages dans le temps. De
même, un voyage dans le temps
suppose implicitement que se
superposent, au sein d’un seul
et même monde, deux temps dif-
férents : le temps propre de celui
qui voyage et le temps extérieur
celui de l’univers. Si l’on main-
tient que le temps est unique et
qu’il n’est pas cyclique, il devient
ipso facto
cette chose dans laquelle
on ne peut pas voyager. Une idée
confortée par la découverte de
l’antimatière dans les années
trente. L’existence de l’antimatière
est la preuve que l’on ne peut pas
voyager dans le temps. L’espace
apparaît donc comme le lieu de
notre liberté tandis que le temps
est une prison sans barreaux.
HDS
Pourtant on continue
de croire en cette possibilité,
celle des voyages dans
le temps…
ÉK : Notre façon de penser le
temps n’a pas évolué depuis des
siècles, voire des millénaires.
Les découvertes de Galilée, New-
ton, Einstein n’y ont rien fait. La
dernière grande révolution par
exemple c’est la relativité. Le temps
d’Einstein est relatif à condition
d’aller plus vite que la vitesse de
la lumière. Or, nous en sommes
incapables. Les effets étant invi-
sibles pour nous, nous n’intégrons
pas cette idée. Donc quelles que
soient les découvertes et les révo-
lutions profondes à venir, elles
n’affecteront pas notre façon de
dire le temps et de le penser.
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Propos recueillis par
Émilie Vast.
Photos : Jean-Luc Dolmaire
«L’ennui désintoxique
notre rapport au temps :
rien ne s’y passe sauf
le temps qui passe. »
La Science se Livre 2014
Du 25 janvier au 15 février, le conseil général propose plus de
cent quarante animations gratuites dans vingt-six communes des
Hauts-de-Seine. Cette manifestation de promotion de la science
auprès du grand public sera précédée d’une soirée inaugurale le
22 janvier au CNRS de Meudon. Trois personnalités viendront y
confronter leurs points de vue : Étienne Klein mais aussi Pierre-
Henri Gouyon, biologiste, chercheur et professeur au Muséum
National d’Histoire Naturelle et André Comte-Sponville, philo-
sophe et professeur. À cette occasion seront dévoilés les lauréats
des prix La Science se Livre.
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