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n°45 - janvier-février 2016
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janvier-février 2016 - n°45
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po r t r a i t
ne dizaine de têtes d’orang-
outang sont alignées sur le plan de travail. Fondu dans
une cuve, en tube, en morceaux ou en fève, le cacao est partout.
Dans son atelier de 400 m
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au cœur de Sceaux, Patrick Roger
lime patiemment le chocolat. Des gestes précis qui trans-
forment peu à peu la matière cacaotée en un corps de singe.
Déjà un mètre dix de hauteur et près de 600 kg sur la balance.
«
Parfois, elles sont si imposantes qu’on est obligé de démonter
la fenêtre pour les faire sortir.
»
Bonne étoile
À 47 ans, Patrick Roger est un boulimique. De chocolat tout
d’abord - il enmange constamment dans son atelier. Mais aussi
de travail. «
500 à 600 heures par mois
», assure-t-il. Ce natif de
la région du Perche semble fonctionner à l’instinct, fourmille
d’idées, travaille à cent à l’heure. Et peut compter sur sa
bonne étoile. «
J’ai eu deux coups de chance. Le premier, c’est ma
rencontre avec le fils d’un notaire d’Antony qui m’a invité chez lui à
Sceaux. Le deuxième c’est celle avec un charcutier, meilleur ouvrier
de France, qui me parle également de Sceaux. J’ai eu envie de venir
voir ce qui s’y passe.
» Un local et un prêt plus tard, il ouvre
sa première boutique. Le succès est immédiat : quatre cents
clients affluent chaque jour dans la petite boutique scéenne.
Le crédit est remboursé en trois mois…
Premier contact
Avec ses «
2,1 de moyenne en maths
» et sans le brevet, ce fils
de boulangers commence son apprentissage en pâtisserie en
sortant de troisième. «
C’est ce qui va me sauver la vie
, avoue-t-
il sans détour.
En moins de trois mois, tout va basculer. Je passe
de dernier de la classe à premier.
» Avant le premier contact avec
le chocolat. «
En arrivant à Paris, on me met sur le poste de choco-
latier. C’est la matière qui va me révéler. Le chef va comprendre que
je suis capable de répéter des tâches avec précision. Une chose que
je n’avais pas découverte avant. Je comprends qu’avec cette matière,
je vais pouvoir tout faire.
» En 1994, il gagne la Coupe duMonde
de chocolat et enchaîne les contrats d’apprentissage à Tours
puis à Enghien-les-Bains. Avant de poser définitivement
ses valises à Sceaux, en 1997.
Empire naissant
Aujourd’hui, l’empire naissant de Patrick Roger s’est étendu
à huit boutiques et une cinquantaine d’employés. «
Nous
sommes une vingtaine à l’atelier, d’une dizaine de nationalités
différentes. Comme quoi le goût n’a pas de frontières. Je vais chercher
le meilleur là où il se trouve.
»Un principe qu’il applique aussi dans
la recherche de ses produits : ses ingrédients viennent de trente
U
Le chocolat ne se
prête pas du tout
à la sculpture. Rien
que pour concevoir
un bonbon
miniature, c’est
très complexe.
pays avec deux cents fournisseurs différents. Un comble,
pour celui qui a grandi dans une famille de boulangers, immergé
dans la culture « locavore ». À Sceaux, il a quand même installé
une demi-douzaine de ruches et cultive ses propres plantes
aromatiques tout en transformant son beurre en Normandie
et en important ses pistaches de Syrie ou de Turquie.
Dompter le cacao
Depuis une quinzaine d’années, il a ajouté une autre corde
à son arc : la sculpture. Pourtant, le premier contact avec l’art
a été tardif, à l’âge de 26 ans. «
Je ne sais pas dessiner, je n’ai jamais
pris de cours
», avoue-t-il. Comme une évidence, Patrick Roger a
décidé de sculpter avec le chocolat. L’œil est sans arrêt rivé sur
les relevés d’hygrométrie et de pression atmosphérique. Tempé-
rature idéale pour bien travailler le chocolat : entre quinze et
vingt degrés. Pourtant, il a réussi à dompter le cacao, pour créer
des œuvres monumentales : sa plus haute pièce fait onzemètres
de hauteur et pèse quatre tonnes…
Jusqu’au 20 février, c’est dans le hall du Musée Rodin, à Paris,
que son œuvre a pris place. Une sculpture de près de quatre
mètres de haut représentant l’artiste, devenu une inspiration
pour le chocolatier. «
C’est un de mes musées préférés. Créer cette
œuvre, c’est comme faire la première partie de Madonna !
»
Il aura fallu 450 heures de travail pour que la pièce prenne forme.
Pour être transportée, l’œuvre a été découpée en onzemorceaux.
Valeurs à transmettre
Parallèlement, le chocolatier a également publié un livre
retraçant quinze ans de sculptures en chocolat ou en bronze.
«
C’est ce que personne n’a vu car je n’ai pas pu l’exposer. Ce livre
est une manière de transmettre et de faire voir.
» La transmission,
le goût du travail, des valeurs essentielles pour Patrick Roger.
Difficile de savoir ce que l’avenir lui réserve encore. On peut
quand même penser que ce sera hors des sentiers battus...
n
Mélanie Le Beller
Photo : Willy Labre
Ce maître chocolatier installé à Sceaux
et devenu sculpteur expose une de ses œuvres
au musée Rodin. Rencontre avec un artiste
touche-à-tout.
Patrick
Roger
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de Patrick Roger sur