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HDS
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n°45 - janvier-février 2016
2
en t r e t i en
Jean-Claude Heudin est directeur de l’Institut
de l’internet et du multimédia à La Défense.
Il fait le point sur l’avancée de l’une de ses spécialités :
la robotique.
maga z i ne
Le robot est conçu
pour améliorer
notre quotidien,
pas pour
nous remplacer
La révolte des machines
n'arrivera jamais
La Science se Livre fête ses vingt ans
Du 23 janvier au 13 février, le conseil départemental
propose un voyage dans le futur autour du thème
« Demain la science ». Cette vingtième édition de
La Science se Livre débutera le 20 janvier au centre
culturel Robert-Doisneau à Meudon. Suivront près de
cent cinquante animations scientifiques et une trentaine
de conférences dans les villes des Hauts-de-Seine – dont
une animée par Jean-Claude Heudin. Il y sera question de
robotique, de biodiversité, de génétique, de nanotechno-
logies, de paléontologie, etc.
n
Programme complet sur
www.hauts-de-seine.net, rubrique culture.
faire le travail pénible des hommes. Elles les remplacent tellement bien
qu’elles finissent par se demander à quoi servent les hommes et décident
d’annihiler l’humanité. Mais la réalité est bien différente. Ces scénarios
catastrophes n’arriveront jamais.
HDS
Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer cela ?
JCH
Même si ces dix dernières années, nous avons fait énormément
de progrès, en particulier en ce qui concerne l’intelligence artificielle,
on est encore très, très loin de ce dont est capable un humain. Ce qui
nous trouble, c’est que, concernant certaines tâches bien précises, nous
sommes capables de concevoir des machines plus performantes que
nous. Si je prends le logiciel Excel, ses capacités de calcul sont bien plus
puissantes que les miennes. Mais de là à ce que le tableur se révolte et
supprime tous les mathématiciens de la planète… C’est la même chose
pour les logiciels d’échecs. Kasparov s’est fait battre pour la première
fois en 1997. Aujourd’hui, les programmes d’échecs sont plus forts que
tous les joueurs. Mais même le programme le plus puissant ne sait rien
faire d’autre que de jouer aux échecs. Je caricature un peu mais créer
une intelligence artificielle dite totale relève encore de la science-fiction.
Les prévisions qui l’annoncent pour 2045 sont complètement délirantes.
C’est un peu comme lorsque l’on a découvert l’ADN en 1953. On s’est dit :
« Ça y est. On va tout comprendre, on va tout guérir ». Et plus on avance,
plus on découvre que c’est compliqué. C’est la même chose avec le cerveau
humain et l’intelligence.
HDS
Comment le Japon est-il devenu LE pays des robots ?
JCH
En termes de recherche ou de conception, les Japonais ne sont pas
plus en avance que nous, que les États-Unis ou l’Allemagne. Le leader
de la robotique humanoïde est d’ailleurs une société française et même
alto-séquanaise, Aldebaran Robotics. Malheureusement, faute de finan-
cements, elle a été rachetée par des Japonais. C’est en terme d’utilisation
qu'ils sont les plus avancés. Les explications sont culturelles et religieuses.
Ils ne sont pas dualistes, contrairement à nous. Il n’y a pas Dieu d’un
côté et les hommes de l’autre. L’homme fait partie de la nature et ses
productions également. Dans les mangas, par exemple, les robots ne
sont pas des esclaves prêts à se rebeller mais des compagnons de vie ou
des sauveurs de l’humanité. La robotique est devenue un développement
technologique stratégique que la population accueille avec bienveillance.
Les Japonais ont par exemple choisi de miser sur les robots pour faire face
au problème de vieillissement de la population et assister les séniors dans
leur vie quotidienne.
HDS
Même si la révolte des machines n’aura pas lieu,
des accidents pourraient survenir. Quels sont les garde-fous ?
JCH
Les robots étant des machines comme les autres, certains comportent
déjà des dispositifs de sécurité comme un bouton d’arrêt d’urgence par
exemple. Les robots pourraient être équipés de dispositifs de protection,
d’anti-virus, de « boîtes noires », soumis à des
crash tests
… La science et
la technologie ne sont ni bonnes ni mauvaises. Elles sont ce que nous en
faisons et la robotique ne fait pas exception. Mon sentiment est qu’il faut
replacer l’homme au centre. Le robot doit être conçu pour améliorer notre
quotidien, pas pour nous remplacer. Il ne faut pas perdre cela de vue quand
on construit un robot et quand on l’utilise.
n
Propos recueillis par Émilie Vast
Photos : Jean-Luc Dolmaire
HDS
Qu’est-ce qu’un robot ?
JCH
Un robot est une créature mécatronique, c’est-à-dire faite de
mécanique, d’électronique et d’informatique. Si l’on va un peu plus loin,
que l’on prend une définition plus technique, c’est un dispositif capable
d’exécuter un certain nombre de tâches programmées, de mettre en
œuvre des raisonnements, de percevoir son environnement et d’adapter
son comportement aux changements de cet environnement. C’est ce qui
le différencie de son ancêtre l’automate qui répète inlassablement une
succession de comportements. Prenons la
Joueuse de tympanon
que l’on
peut voir au musée des Arts et Métiers. Cette jolie poupée joue de son
instrument même s’il n’y a personne dans la salle. Alors qu’un robot
s’apercevrait qu’il n’y a pas de public et arrêterait.
CD92- J
ean
-L
uc
D
olmaire
HDS
Est-ce que l’on appelle l’intelligence artificielle ?
JCH
À partir du moment où l’on parle de créature artificielle, l’intel-
ligence est elle aussi artificielle. Mais l’IA, c’est surtout un domaine
de recherche : pouvoir programmer, dans des robots par exemple, des
raisonnements, souvent inspirés de ce que l’on peut observer dans la
nature et plus particulièrement chez l’homme, pour qu’ils adaptent leur
comportement en fonction des situations et optimisent ainsi l’exécution
des tâches programmées.
HDS
Concrètement, qu’est-ce qui relève de la robotique
aujourd’hui dans notre quotidien ?
JCH
Lorsque j’ai défini ce qu’était un robot, je n’ai volontairement pas
évoqué leur morphologie. Pour le grand public, le robot est souvent
synonyme d’humanoïde ou d’androïde. Mais ce n’est pas toujours le cas.
La forme des robots est le plus souvent adaptée à leur fonction comme
celle de Roomba, le robot aspirateur. Car la robotique envahit tous les
secteurs. Il y a des robots industriels depuis une trentaine d’années, des
robots domestiques, des robots chirurgiens… L’automobile est aussi un
domaine d’application extrêmement important. Certains prototypes sont
déjà capables d’aller d’un point A à un point B sans conducteur.
HDS
Mais peu d’automobilistes seraient prêts à laisser le volant
à un robot. Pourquoi les robots nous font-ils peur ?
JCH
Pour les voitures, on en est encore au stade du prototype même s’il
faut s’attendre à des applications assez rapides. Mais il est vrai que les
robots provoquent un mélange de fascination et d’angoisse. La première
explication est d’origine religieuse. En Occident, dans tout le bassin
méditerranéen, les traditions ont toujours condamné la création d’êtres
artificiels. La création de la vie ne peut être que de nature divine. Une autre
explication est la crainte des bouleversements entraînés par le progrès
technique. Un débat aussi vieux que l’humanité qui a pris de l’ampleur au
XIX
e
siècle avec la révolution industrielle et qui refait surface aujourd’hui
avec la robotique et ses conséquences en terme d’emplois par exemple.
Enfin, la troisième explication est culturelle et découle des deux premières.
Les auteurs romantiques du XIX
e
siècle ont fortement contribué à la
construction de la figure négative du robot. Le scénario est toujours le
même, c’est celui de Frankenstein. On a, au départ, quelqu’un qui maîtrise
une technique ou un art. Il crée quelque chose qui, par une intervention
divine ou un événement surnaturel (la foudre dans le cas de Frankenstein),
prend vie. Mais il y a transgression des diktats divins, donc la créature va
échapper au contrôle de son créateur.
HDS
C’est ce que l’on a appelé la « révolte des machines »…
JCH
La révolte des machines, c’est le même scénario que précédemment
mais à l’échelle d’une population entière. Des machines sont créées pour