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

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HDS

mag

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n°49 - septembre-octobre 2016

2

Psychologue, co-fondateur de l’Observatoire des

mondes numériques en sciences humaines,

Michael

Stora travaille sur notre rapport à l’image et sur

les addictions aux mondes virtuels.

maga z i ne

HDS

Quelle est la différence dans le rapport à l’image entre les

adolescents d’aujourd’hui, nés dans un monde hyperconnecté,

et leurs parents ?

MS

La plupart des parents des adolescents actuels n’ont pas connu

dans leur enfance le jeu vidéo tel qu’il est aujourd’hui : une porte

d’entrée vers les mondes numériques. Ils sont nés avec la télévision,

dans un rapport que j’appelle « interpassif » qui a eu tendance à faire

de l’image télévisée une image, idéalisée, quasi sacrée. À l’inverse, la

génération née avec les jeux vidéo a un rapport plus sain à l’image. Elle

a appris à jouer avec elle, à la transformer. Les jeunes ont besoin d’avoir

la mainmise sur l’image, ils sont habitués à la manipuler.

HDS

Ce qu’ils font sur les réseaux sociaux…

MS

C’est l’éternel audimat intime et narcissique : suis-je beau ou

belle ?,

like

ou pas

like

? Cela repose sur un modèle très américain,

le

think positive

: les gens ne vous présentent que des choses incroya-

blement positives, ce qui est totalement déprimant car la vie, c’est aussi

du négatif. La télévision avait paradoxalement un aspect plus élitiste.

Avec Youtube, par exemple, on assiste à une démocratisation de la mise

en scène de soi. À l’adolescence, c’est assez banal car on se construit

à travers l’image sociale, celle que l’on renvoie aux autres. Ce n’est pas

nouveau, cela se faisait déjà dans la cour de récré. On a besoin du regard

de l’autre pour se construire… Cette fragilité narcissique à l’adolescence

se perçoit sur les photos publiées sur Instagram où l’on cherche à

montrer une belle image de soi. Avec les réseaux sociaux, nous sommes

tous exhibitionnistes. C’est la culture du

self-branding

: chacun de nous

est une marque que l’on essaie de vendre.

HDS

Vous travaillez beaucoup sur l’addiction aux jeux vidéo.

Quand parle-t-on d’une personne « accro » ?

MS

Quand il y a rupture des liens sociaux, petit à petit, aussi bien avec

la famille qu’avec les amis, le ou la petit(e)-ami(e) et surtout l’école ou

le travail. On ne peut donc pas parler d’addiction en termes de temps

passé devant la console car par exemple ce que l’on appelle des

hardcore

gamers

, c’est-à-dire des passionnés de jeux vidéo, peuvent parfois jouer

pendant plusieurs jours d’affilée pour terminer un jeu, puis revenir à

la vie réelle.

HDS

Que répondez-vous à ceux qui accusent les jeux vidéo

de fabriquer de la violence ?

MS

Évidemment, le jeu vidéo peut avoir une fonction de déclencheur,

mais comme l’a pu être auparavant la télévision ou même le livre.

C’est donc une très vieille histoire que le fait que n’importe quel objet

culturel entraînerait le passage à l’acte. C’est une paresse de l’esprit

puisqu’en accusant le jeu vidéo, on fait l’économie d’une réflexion plus

complexe sur le contexte dans lequel on joue aux jeux vidéo : le contexte

familial, social, culturel... Il y a quand même en France trente-cinq

millions de joueurs : aurait-on affaire à autant de psychopathes ? Je vais

la mainmise sur l’image

ont appris à avoir

Les adolescents