r epo r t age
novembre-décembre 2016 - n°50
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HDS
mag
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E
n s’approchant puis
en prenant du recul,
en faisant le tour, en
penchant la tête à
droite ou à gauche, parfois même
en fermant un œil, le promeneur
cherche à les déceler. Cette
« femme
en pied »
ou ce
« grand visage pen-
ché »
qui ont valu son nom à
l’œuvre. Avec ses douze mètres de
large et surtout ses vingt-quatre
mètres de haut, la
Tour aux figures
est l’œuvre la plus spectaculaire de
Jean Dubuffet (1901-1985), peintre
et sculpteur français, inventeur du
terme d’Art brut. « La Tour aux
figures
s’inscrit dans
L’Hourloupe,
explique Sophie Webel, directrice
de la fondation créée par l’artiste.
C’est le cycle le plus original et le plus
long du travail de Dubuffet. Il com-
mence en 1962, se termine en 1974 et
se caractérise par ses couleurs - blanc,
rouge, et bleu -, par ses hachures et ses
tracés noirs. L’objectif de Dubuffet est
d’exacerber l’imagination du specta-
teur. Vous pouvez voir des éléments
qu’une autre personne ne verrait
pas.
»
« Mes travaux procédant de ce
cycle mettent en œuvre des gra-
phismes sinueux répondant avec
immédiateté à des impulsions sponta-
nées et, pour ainsi dire, non contrô-
lées, de la main qui les trace. Dans
ces graphismes s'amorcent des figura-
tions incertaines, fugaces, ambiguës.
Leur mouvement déclenche dans
l'esprit de qui se trouve en leur pré-
sence une suractivation de la faculté
de visionner dans leurs lacis toutes
sortes d'objets qui se font et se défont
à mesure que le regard se transporte,
liant ainsi intimement le transitoire
et le permanent, le réel et le falla-
cieux »
, explique alors l’artiste.
Parmi les autres œuvres majeures
de ce cycle : le
Jardin d’hiver
au
Centre Pompidou, la
Closerie Fal-
bala
qu’il avait construite pour son
propre usage et toujours visible à la
Fondation Dubuffet à Périgny-sur-
Yerres dans le Val-de-Marne, le
Bel
Costumé
au Jardin des Tuileries…
En trois dimensions
L’
Hourloupe
ce sont au départ des
dessins, des peintures… Puis,
« le désir m’est venu de donner à
ces graphismes déchaînés, à ces gra-
phismes s’échappant de la feuille
plane qui leur sert habituellement
de support, des dimensions monu-
mentales »
, écrit l’artiste. Dubuf-
fet vient de découvrir le polysty-
rène expansé.
« Le polystyrène est
blanc, très léger et facile à découper.
Dubuffet le sculpte directement avec
des instruments tranchants,
raconte
Sophie Webel,
comme des couteaux
électriques pour les rôtis. Il fait aussi
fabriquer par son beau-frère des appa-
reils électriques pour sculpter au fil
chaud. Il commence ainsi à faire des
sculptures monuments, des sculptures
habitats et la
Tour aux figures
est
un des tout premiers projets de ce
genre qu’il montrera en 1968 lors
de l’exposition
Édifices, projets et
maquettes d’architecture
au musée
des Arts décoratifs. »
Mais il faudra
attendre deux décennies pour que
la maquette d’un mètre devienne
une
« sculpture monumentée »
de
vingt-quatre mètres suite à une
commande de l’État - la première à
Dubuffet - en 1983.
« C’est Dubuffet
lui-même qui propose la
Tour aux
figures
. C’était un défi je pense »
,
suggère Sophie Webel. Pas qu’un
en réalité. Le premier : trouver un
emplacement. «
L’idée de Dubuffet
était que ces sculptures monuments
s’inscrivent dans la ville. Lors de l’ex-
position de 1968, ses premiers projets
sont présentés au travers de photo-
montages où l’on voit, par exemple,
la
Tour aux figures
au milieu de la
place Victor-Hugo dans le 16
e
arron-
dissement de Paris. Pour Dubuffet,
sa tour devait s’inscrire dans un envi-
ronnement urbain avec une base très
dégagée. »
Sont donc successive-
ment envisagés la place d’Italie à
Paris, le parc de La Villette alors
en construction, le parc de Saint-
Cloud et finalement l’Île Saint-Ger-
main sur proposition du maire
d’Issy-les-Moulineaux, André San-
tini. Le terrain est à l’époque géré
par un syndicat mixte - composé
du Département et des communes
d’Issy, de Boulogne et de Meu-
don - lui aussi favorable au projet.
« Dubuffet se rend sur place,
raconte
la directrice de la fondation.
Cette
butte sur laquelle la tour sera finale-
ment construite lui plaît immédiate-
ment. En effet, cette possibilité – que
la tour soit surélevée – figurait dans
ses travaux d’origine. En revanche, ce
n’est pas un environnement urbain.
Mais inscrire un bâtiment anti-
naturiste au milieu des arbres est
encore une fois un défi qui lui plaît.
Il va donc donner son accord pour
cet emplacement. Malheureusement,
il meurt juste après, en mai 1985.
Entre temps, des études avaient été
faites pour la construction de la tour,
qu’il avait suivies notamment sur
l’aménagement de l’intérieur. »
Promenade sinueuse
Cet intérieur, c’est ce que l’on
appelle le
Gastrovolve
,
« encore un
nom inventé par Dubuffet qui évoque
la coque d’un escargot »
, sourit la
directrice. C’est la combinaison
La
Tour aux figures
fait douze
mètres de large et vingt-
quatre mètres de haut.
CD92 / W
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la
Tour aux figures
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