po r t r a i t
ù commencer ? Par le concert
inaugural de décembre 1986 à la Maison de la Radio, quand
pour la première fois un jeune compositeur de pas même trente
ans dirigeait la musique de son temps ? Par l’installation en
1996 de TM+ à Nanterre, dans un projet de résidence qui n’a
cessé depuis de conquérir de nouveaux territoires ? Ou par le
bain musical d’un jeune enfant au début des années soixante ?
Une sève nourricière
«
La musique ? Je suis tombé dans la marmite tout petit !
» C’est peu
dire : un père pianiste et professeur, une fratrie demusiciens, un
nourrisson élevé aux « trois B. » qui ne sont pas des vitamines
premier âge mais les fameux Bach, Beethoven, Brahms. «
Mes
premières émotions musicales, vers 5 ou 6 ans, ont été les Préludes
de Bach.
» Ce seront donc les études au Conservatoire dit alors
« de Région » de Reims puis l’entrée, à 17 ans, au Conserva-
toire de Paris en classes de violon, de musique de chambre
et d’analyse. «
J’ai bifurqué vers la composition, que je pratiquais
déjà en autodidacte, après la découverte de ce que l’on pouvait faire
à l’époque avec l’ordinateur. Je me posais déjà beaucoup de questions
sur le langage musical, je sentais que je ne trouverais vraiment
mon identité de compositeur qu’au plus près de la modernité.
»
Nous sommes encore avant la fondation de l’Ircam par Pierre
Boulez, autant dire à la préhistoire. La classe de composition
et recherche musicale de Pierre Schaeffer et Guy Reibel - qu’il
dirigera lui-même plus tard – puis le Groupement de recherche
musicale (GRM) marquent alors «
le début d’une des plus belles
aventures de ma vie de musicien, la recherche d’une synthèse entre
l’instrument classique et les nouveaux mondes sonores
».
Maison ouverte
Compositeur, pédagogue, chef d’orchestre, Laurent Cuniot
est un musicien tourné vers les autres - c’est-à-dire nous.
La résidence à la Maison de la Musique de Nanterre est ainsi
née d’une intime conviction : «
Le respect du public consiste à lui
accorder la même capacité que soi à aller vers les émotions artistiques,
sans préjugés. Ce n’est pas lui offrir ce que l’on pense qu’il aime et qu’il
attend, mais au contraire l’emmener vers des territoires, qu’on a nous-
mêmes explorés, dont on sait à quel point ils peuvent nous ouvrir
l’imaginaire et nous porter au-delà de notre condition habituelle.
» Le
travail sur le territoire est alors essentiel. Cela s’appelle l’action
culturelle, la rencontre avec des publics tous différents. Cela
s’appuie sur des dispositifs et des partenariats avec la Ville et le
O
J’ai en moi la volonté
de faire résonner
chez les autres, avec
la même intensité,
la même sensibilité,
ce qui me fait vibrer
sur le plan musical.
Département, à destination notamment des jeunes parce que
tout commence là. Cela tient, pour TM+, en une jolie formule :
«
Ensemble, tout un art
».
Et quand l’avocat du diable lui demande si cela fonctionne,
la réponse est spontanée : «
Au-delà de mes espérances ! Je ne
pensais pas qu’on pourrait partager autant de projets ambitieux du
point de vue artistique, avec une vraie qualité d’écoute et une telle
mixité de générations et d’origines sociales.
» Exemple en 2014 avec
les
Quatre Chants pour franchir le seuil
de Gérard Grisey : une
salle comble dont un tiers de jeunes grâce au travail préparatoire
mené auprès d’eux. «
Ils sont entrés avec une forme de fascination
dans un langage qui est de leur époque et n’est pourtant pas celui
qu’ils entendent au quotidien. La rencontre avec la musique contem-
poraine doit se faire au concert, parce que la première dimension
de la musique, c’est la sensation physique de la vibration, et elle est
irremplaçable.
»
Unmouvement qui submerge
Ses racines, Laurent Cuniot les plonge dans l’histoire -
de la musique, mais pas seulement. «
Adolescent, j’écoutais en
boucle Schubert et Mahler, et je suis complètement passé à côté du
rock ! Plus tard, le son de l’ensemble A Sei Voci dans Gesualdo a
été l’un des plus beaux entendus dans ma vie de musicien.
» Julien
Gracq et Marguerite Yourcenar pour le travail sur le langage et la
puissance d’évocation. Et la peinture pour le sens de la couleur
et des matières : «
La poésie de Klee, quelque chose de vibratile et
doux, me bouleverse. Je suis également très sensible à la matière
comme sujet de la peinture. Quand on regarde un Van Gogh de près,
il y a un jaillissement fondamental, intérieur, qu’on retrouve dans la
pâte, les courbes, le mouvement, et qui vous submerge.
»
On ne saurait trouver plus belle évocation de sa musique :
intensément lyrique, toujours concernée par le renouvellement
du langage, où la dramaturgie et le chant tiennent des rôles
essentiels. Et qu’il faut, selon les principes précédemment
exposés, venir écouter en concert.
n
Didier Lamare
www.tmplus.org© E
nrico
B
artolucci
novembre-décembre 2016 - n°50
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