c u l t u r e
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de moisson, chez Berthe Morizot,
Schuffenecker…, de vie rupestre
avec Cavallo-Peduzzi ou de marchés
pittoresques confrontant les ressen-
tis de Piette à Pontoise (1876), de
Gleizes à Courbevoie et de Jacques
Villon à Puteaux... Malgré les muta-
tions urbaines, l’Île-de-France garde
encore son identité dans la peinture
de paysage.
Banlieue rieuse
et banlieue triste
Dès le milieu du XIX
e
siècle, Paris
sort de ses murs et l’unité urbaine
se dissout. Monet avec
La gare d’Ar-
genteuil
(1872), et Dantan avec celle
de
Saint-Cloud
(1880), mettent les
locomotives fumantes parmi les
motifs picturaux de premier plan.
Le chemin de fer, la construction
de viaducs et ponts, la canalisation
de l’eau forment une trilogie de la
modernité aussitôt intégrée dans
la peinture de paysage. La vision
du
Canal de Saint-Denis
fédère
une dizaine de peintres, les sil-
houettes massives des péniches et
remorqueurs deviennent motifs
chez Marquet, Gleizes, Vlaminck,
Gromaire, Picabia… L’industria-
lisation des berges de la Seine
fournit de nouvelles verticales qui
construisent la toile : aux arbres et
aux clochers succèdent les chemi-
nées :
Paysage d’usines,
par Stein-
len (1859),
Les dix-huit cheminées
de Saint-Denis,
par Signac (1933).
Quant à Frank-Will (Boggs), il
assène un portrait écrasant des
Usines des Moulineaux
, (1950).
La prospérité industrielle offre
du travail (
Les maçons,
de Dantan
(1880),
le chantier du lycée Lakanal
à Sceaux
, de Jules Aviat (1884)...)
et la présence de la « nature »
|
HDS
mag
|
n°50 - novembre-décembre 2016
© P. L
emaître
/ CD92 / M
usée
du
D
omaine
départemental
de
S
ceaux
.
se manifeste sous de nouvelles
formes : Les jardins ouvriers,
paysages en soi, sont décrits par
Lugnier, Delpech ou encore M.-A.
Lansiaux-Ronis (1958).
Deux visions de la banlieue vont
s’opposer : la banlieue rieuse et
la banlieue triste. La première,
décrite par Caillebotte, Luce, Mar-
quet, Le Sidaner ou Dufy, énumère
les loisirs qu’offrent les bords de
Seine (canotage, baignade, par-
tie de pêche, voile, aviron), mais
aussi plaisirs du
« déjeuner sur
l’herbe » -
Fontanarosa en 1958
fait écho au Manet de 1863. Haut
lieu de festivités,
Les guinguettes de
Robinson
(1910) font l’objet d’un
paysage figé de Maurice Utrillo
qui a travaillé d’après des cartes
postales. Dans un tableau syn-
thèse,
Les bords de Marne
, (1925),
le peintre Gromaire offre une ver-
sion plus mitigée de cette vision.
Ce sont les peintres dits « engagés
» qui portent le paysage de la ban-
lieue
« qui pleure »
, misérable, pol-
luée, sinistre, dépourvue de toute
trace d’humanité et de nature.
Vlaminck, l’ancien fauviste, en
dresse avec
Clamart
(1938) un
portrait à charge, comme souli-
gné au bitume, suivi par Michel
de Gallard,
Banlieue
(1955) et bien
d’autres. Mais c’est Jean Delpech
qui livre la vue la plus terrifiante,
celle de
La centrale électrique près de
la Seine
(1942). À l’opposé, André
Lhôte et son usine colorée,
L’usine
à gaz
(1937), accorde à l’essor
industriel une vision poétique
teintée d’humour inattendu tan-
dis qu’un certain onirisme souffle
dans la joyeuse complexité de
La
Fabrique
d’Auguste Herbin (1925).
La peinture du paysage industriel
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Lucien Joseph Fontanarosa,
Le Dimanche au bord de la Marne
, 1958.
Marie-Anne Lansiaux–Ronis,
Jardin de banlieue.
Vers 1960.