mai-juin 2014 - n°35
|
hds.
mag
|
po r t r a i t
cg
92/
olivier
ravoire
anon Savary se creuse la
tête, à la recherche de son
premier souvenir d’opéra.
«
Je crois que c’est le festival
de Bregenz en Autriche avec
cette scène flottante sublime qui me paraissait
démesurée sur le lac,
sourit-elle
. Mon père nous
louait des pédalos et on faisait le tour du plateau
avec ma sœur pendant des journées entières.
»
Fille du metteur en scène Jérôme Savary et
de la chanteuse et comédienne Mona Heftre,
Manon a passé son enfance sur les plateaux,
que ce soit au théâtre ou à l’opéra. «
Comme
beaucoup de gens dans ce métier-là, le seul moyen
de passer du temps avec nous était de nous
faire venir sur les productions
», raconte-t-elle
sans aucune amertume. Bien au contraire.
Au début des années 2000, en parallèle de
sa maîtrise d’information et de communica-
tion et de la préparation d’un master d’études
théâtrales, elle a commencé à travailler avec
son père comme assistante mise en scène
sur la création d’une comédie musicale à La
Havane. Manon est aussi attachée de presse
et directrice de production sur le montage de
la tournée. Elle assiste ensuite Alfredo Arias
pourdeuxcréationsàChaillot.En2005,Henri-
Jean Servat la choisit pour l’assister sur
La
Traviata
de Verdi. «
Je le connais depuis long-
temps
, souligne-t-elle.
Il est très proche de ma
famille. C’est un peu mon parrain.
» Manon
Savary avance au fil de ses rencontres. Sur
La
Traviata
, elle fait la connaissance de Tristan
Duval, alors producteur des Opéras en plein
air. C’est lui qui produira l’année suivante sa
première mise en scène de
L’Illusion comique
de Corneille qu’elle avait «
très envie de monter
depuislongtemps
».Celaseferaenpleinairdans
le théâtre de verdure du château de Champ de
Bataille : «
un cadre hallucinant, délirant, très
poétique
». Manon Savary n’est jamais à court
de superlatifs lorsqu’elle parle de son travail.
C’est en 2010 qu’elle rencontre Patrick Poivre
d’Arvor. «
Lorsqu’on lui a proposé de mettre en
scène un opéra, il a accepté à condition de s’asso-
cier à quelqu’un dont c’est le métier. On a une
approche très différente. Déjà nous sommes un
homme et une femme, pas de la même généra-
tion et pas de la même culture. Lui a une grande
connaissance des livrets. Il amène une approche
plus littéraire. On est très complémentaires.
»
Ils mettent en scène
Carmen
, un opéra que
Manon Savary «
aime particulièrement
».
«
Carmen est un personnage dont je me sens
très proche, une femme forte
». Pendant la tour-
née, le duo pense déjà à revenir avec
Don
Giovanni « l’opéra des opéras »
selon Wagner.
«
Après avoir travaillé la figure féminine, nous
avions envie de travailler la figure masculine. Ce
sont deux œuvres différentes mais avec des points
communs. Ce sont des personnages presque
mythologiques qui ont quelque chose de très
puissant. Tout comme nous n’avions pas voulu
faire de Carmen une simple histoire d’amour
qui finit mal, nous ne voulions pas d’un Don
Giovanni simple séducteur, pinceur de fesses. Il
y a à chaque fois un versant politique et social.
»
En parallèle, Manon Savary et Patrick Poivre
d’Arvor préparent aussi la création d’un opéra
contemporain sur la première guerre mon-
diale,
Un amour en guerre
, présenté à Metz en
octobre prochain. Dans les deux cas, le plus
beau compliment qu’on pourrait leur faire :
«
venir nous voir à la fin du spectacle et nous dire
"c’est la première fois que je viens à l’opéra,
je pensais que je ne comprendrais rien. Mais
j’ai passé un super bon moment"».
Résumé comme ça, le parcours de la met-
teur en scène donne l’impression de faire la
part belle au lyrique. Pourtant, Manon Savary
est bien la fille de son père. Elle ne se limite
pas à un champ artistique. «
J’ai une culture
théâtrale, mais j’ai fait du music-hall, des per-
formances, des choses un peu plus underground
si on peut dire ça comme ça
. » Elle a fondé en
2007 avec Julien Princiaux la compagnie
mfsm, une structure qui se veut «
décloison-
née et indisciplinée
». «
En France, on est assez
peu clément avec ce type de fonctionnement. On
a souvent essayé de me mettre en garde. Mais
j’ai toujours été convaincue qu’on se nourrit de
plein de choses. Je peux m’inspirer aussi bien
de gens que je croise dans la rue que d’une publi-
cité vue à la télé
». Manon Savary fait aussi de
l’événementiel. Un moyen de s’autofinancer,
de ne pas être dépendante des financements
publics. Mais il y a une chose sur laquelle
elle ne transige pas : «
je n’ai jamais accepté un
boulot qui ne m’amusait pas.
»
n
Émilie Vast
M
elle met en scène l’Opéra en plein air avec Patrick
Poivre d’Arvor. Après
Carmen
, ils ont choisi
Don
Giovanni
. Au parc de Sceaux les 13 et 14 juin.
“
“
J’aime raconter des
histoires. C’est
l’essence même
de mon métier.
L’Opéra en plein air
nous pousse juste-
ment à nous concen-
trer sur le récit,
à aller à l’essentiel.
Parce qu’il n’y
a pas de machinerie
théâtrale et parce
qu’on s’adresse
à des gens qui n’ont
pas l’habitude
d’aller à l’opéra.
Il faut essayer
de rendre l’œuvre
intelligible tout
en embarquant
le public dans un
parti pris de mise
en scène.