novembre-décembre 2014 - n°38
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HDS.
mag
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en t r e t i en
pedia, Linux ou OpenStreetmap,
les premières initiatives qui ont
mobilisé de grandes communau-
tés. Ce que l’on observe, dans un
groupe standard, c’est la règle
des 99, 9, 1. S eulement 1 % des
gens va intervenir de manière
proactive, 9 % vont réagir à ces
interventions et 90 % des gens
vont rester passifs et observateurs.
Donc si on veut avoir de l ’intelli-
gence collective et au moins une
dizaine de personnes qui intera-
gissent, il faut au minimum être
un groupe de cent. En dessous de
ce chiffre, l’exercice, sur internet,
est un peu artificiel.
HDS
Vous qualifiez Wikipedia
de « mythe fondateur ».
Pourquoi un mythe ?
FE
Wikipedia n’est pas un mau-
vais exemple mais ce n’est pas un
exemple si convaincant. Première-
ment, cela fait dé jà plusieurs an-
nées que le taux de contributions
diminue. Il y avait 55000 éditeurs
à la grande époque en 2007. A u-
jourd’hui ils sont un peu plus de
30 000. Cela peut paraître nor-
mal dans une aventure encyclo-
pédique puisque la plupart des
articles ont déjà été écrits. En-
suite, Wikipedia n’est pas aussi
démocratique que l’on pourrait le
croire. Les mécanismes de rédac-
tion et d’édition sont particuliè-
rement complexes. En 2010, on
une solution. Ils n’ont pas évolué
depuis quinze ans. C’est pourtant
là que se situe la vraie révolution
à venir selon moi. Les forums
avaient été créés pour que les
gens échangent et co-construisent
quelque chose de neuf. Cela a bien
fonctionné dans des communau-
tés de développeurs, de « geeks »,
des gens très à l’aise dans cet envi-
ronnement. Mais l’adoption par le
grand public n’a pas vraiment eu
lieu, si ce n’est dans des logiques
de simples questions-réponses
sur le bricolage, l’informatique,
la santé…
HDS
D’où la nécessité selon
vous d’inventer de nouveaux
métiers…
FE
Pour manager une commu-
nauté en ligne, il y a deux rôles
qui me semblent indispensables.
Le premier est celui d’« attra-
peur ». C’est la personne ou le
groupe qui organise l’informa-
tion, qui extrait les idées clefs,
les perspectives qui se dégagent
d’une conversation en ligne. Lors
d’un débat, il y a beaucoup d’idées
émises et toutes ne se valent pas.
Donc il y a à faire un travail d’ar-
chitecte de l’information. Le deu-
xième rôle important est celui de
« synthétiseur ». Pour valider une
Une expérimentation pour le Département
À la suite des réflexions menées dans le cadre des Entretiens
Albert-Kahn, le laboratoire d’innovation publique du conseil géné-
ral, dont Frank Escoubès a été l’un des invités, le Département a
lancé une expérimentation en partenariat avec Imagination for
People. Pendant près de six mois, les candidats à l’appel à projets
d’économie sociale et solidaire du conseil général ont pu peaufi-
ner leur dossier de candidature grâce à My Social Business Model
), une plateforme d’aide à l’élaboration de projets
entrepreneuriaux. Un retour d’expérimentation est prévu à la fin
de l’année.
eak.hauts-de-seine.net
consultation publique en ligne par
exemple, il faut qu’il y ait réguliè-
rement des synthèses, soumises
à la communauté pour validation,
qui résument ce qui s’est dit.
HDS
Vous insistez aussi, et
cela peut paraître contra-
dictoire, sur l’importance
du « présenciel ». De quoi
s’agit-il ?
FE
C’est très important que les
gens se connaissent au-delà d’un
compte virtuel sur un forum ou
sur une plateforme. Et la meil-
leure manière est de les réunir
réellement, physiquement. Or si
une consultation se fait en ligne
par exemple, c’est bien parce que
les gens sont trop nombreux ou
trop dispersés géographique-
ment. Donc il faut inventer d es
méthodes pour associer ces ré-
flexions en ligne à des rencontres,
des ateliers, des conférences… Au-
delà de la simple consultation, la
créativité en ligne - la génération
d’idées qui est au cœur de l’intel-
ligence collective – se heurte aux
limites du web. Il doit y avoir, si je
puis dire, des allers-retours entre
le
on line
et le
off line
.
Propos recueillis
par Émilie Vast
Photos : Jean-Luc Dolmaire
estimait ainsi que 2 % des édi-
teurs, soit un peu plus de mille
personnes, rédigeaient 75 % des
publications.
HDS
L’Open Da t a don t
on parle beaucoup n’est
donc pas de l’intelligence
collective ?
FE
L’Open Data a été une pre-
mière étape nécessaire pour que
le grand public prenne conscience
du fait qu’il peut interagir, interve-
nir et apporter une contribution à
la vie publique. Mais c’est encore
limité en terme de succès et de
réutilisation.
HDS
Pourquoi le grand public
a-t-il encore du mal à s’y
intéresser ?
FE
Pour commencer, les sujets
traités par l’Open Data ne sont pas
toujours les plus mobilisateurs.
Deuxièmement, les outils « grand
public » n’existent pas. Pour arri-
ver à utiliser ces jeux de données,
mieux vaut être développeur ou
avoir énormément de temps de-
vant soi. Concernant l’intelligence
collective, il y a eu des tentatives
sur les réseaux sociaux généra-
listes, mais les interfaces n’avaient
pas été conçues pour ça. Elles ne
permettent pas de construire col-
lectivement du sens pour des rai-
sons purement techniques. Même
les forums en ligne ne son t pas
Les forums en ligne,
c’est là que se situe la vraie
révolution à venir
CG
92/
JEAN
-
LUC
DOLMAIRE