mars-avril 2014 - n°34
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hds.
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en t r e t i en
mais ils n’étaient en réalité qu’un
groupe parmi beaucoup d’autres.
C’est une image très anthropo-
centriste que l’on a. On pense
que l’homme domine les écosys-
tèmes actuels. Donc on se dit qu’à
chaque époque, un groupe devait
dominer. La taille des dinosaures
les a certes placés au sommet de
la pyramide trophique pendant
près de 160 millions d’années,
- c’étaient les plus grands pré-
dateurs et les plus grands her-
bivores - mais ce ne sont pas les
seuls à évoluer sur les continents
à cette période. Crocodiles, tor-
tues, lézards et mammifères sont
apparus à la même époque. Et les
mammifères étaient sûrement
plus abondants que les dino-
saures. Mais ils étaient petits. On
a donc du mal à retrouver leurs
restes.
HDS
Autre conséquence de
notre
anthropocentrisme,
on n’imagine pas que les
dinosaures pouvaient être
bipèdes…
RA : On considère en effet que la
bipédie caractérise uniquement
l’espèce humaine et que c’est un
atout. C’est un plus pour nous
parce qu’elles nous a permis de
libérer nos mains par exemple, de
libérer notre trachée-artère pour
l’élocution et la voix…Mais la bipé-
die n’est pas forcément une fin en
soi. Chez les dinosaures, l’évolu-
tion a suivi le sens inverse. Au
trias, les dinosaures sont les seuls
bipèdes dans un monde de qua-
drupèdes. Avec l’accroissement
de leur taille, il y a des contraintes
morphologiques, biomécaniques,
qui font qu’ils sont obligés de pas-
ser sur leurs quatre pattes. Mais
ce sont bien les dinosaures qui
ont donc inventé la bipédie il y a
plus de 220 millions d’années et
ils l’ont d’ailleurs transmise aux
oiseaux.
HDS
Parce que les oiseaux
descendent des dinosaures,
c’est bien cela ?
RA : Le débat sur l’origine dino-
saurienne des oiseaux existe
depuis cent cinquante ans. Cette
hypothèse a été formulée dès
1864 par l’anatomiste allemand
Karl Gegenbaur, frappé par les
nombreuses homologies entre les
deux groupes. Contrairement à ce
que l’on pourrait croire, la micros-
tructure d’un os de dinosaure à
plus à voir avec celle d’un oiseau
qu’avec celle d’un lézardmoderne.
Cette théorie a notamment été
confirmée grâce à la découverte
en Chine à la fin des années 1990
de dinosaures à plumes dans des
couches géologiques datant de
125 millions d’années. Le débat
a finalement été définitivement
tranché au début des années
2000. Les oiseaux partagent en
fait un ancêtre commun avec
les
Deinonychosaures
(« lézards à
griffes terribles »), un groupe de
petits carnivores, dont certains
sont plus connus sous le nom de
Raptors
. Aujourd’hui, c’est d’ail-
leurs enseigné. Les collégiens
apprennent que les oiseaux sont
des dinosaures à part entière.
De la même manière que les
hommes sont des mammifères.
HDS
Est-ce que les dino-
saures savaient voler ?
RA : Si les relations de parenté
entre oiseaux et dinosaures car-
nivores sont aujourd’hui ferme-
ment et scientifiquement éta-
blies, de nombreuses questions
demeurent quant à l’origine du
vol. On pense que les dinosaures
ne volaient pas. Au mieux, ils pou-
vaient planer. Mais rien n’est sûr.
HDS
Est-ce pour cela que
vous dites que les dinosaures
n’ont pas disparu ?
RA : À travers les oiseaux, c’est
bien le patrimoine génétique des
dinosaures qui nous est parvenu.
Quand j’affirme que les dino-
saures n’ont pas disparu, mon
objectif est plus de nous faire
réagir. Le fait de reconnaître les
oiseaux comme des dinosaures à
part entière doit avoir un impact
profond sur la vision que l’on a de
la biodiversité actuelle et passée.
Aujourd’hui on s’interroge beau-
coup sur une éventuelle sixième
extinction. Ce n’est pas nous
les paléontologues qui allons
répondre. Mais nous pouvons
donner des informations. Oui, il
y a déjà eu de grandes extinctions.
Le monde s’en est toujours remis.
Donc s’il y en a une sixième,
le premier à en pâtir ce sera
l’homme. Mais toute la nature ne
va sûrement pas disparaître.
HDS
Que s’est-il passé il y a
65 millions d’années lors de
la dernière grande extinc-
tion ?
RA : Les effets sont connus : tous
les grands dinosaures – qui ne
sont pas des oiseaux – vont dis-
paraître. Et tout un tas d’autres
groupes aussi : des animaux et
des végétaux. Ça, c’est une don-
née scientifique. Maintenant les
causes, il y en a trois possibles :
la chute d’une météorite, un vol-
canisme très important et une
grande régression c’est-à-dire une
chute du niveau marin. Ces trois
événements sont prouvés scien-
tifiquement. La question est de
savoir si un seul a suffi ou si la
crise est un événement multifac-
toriel qui n’a été rendu possible
que par les conjonctions des phé-
nomènes. Je pense pour ma part
qu’on ne saura jamais. Quoi qu’il
en soit, il y a fort à parier, étant
donné l’ampleur des événements
qui se sont déroulés à la fin du
crétacé, que la survie de telle ou
telle espèce, la disparition de telle
ou telle autre, comme les dino-
saures, a plus tenu du hasard que
de quelconques spécialisations
adaptatives. Car il ne faut jamais
oublier que l’évolution c’est la
contingence…
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Propos recueillis par
Émilie Vast
Photos : Jean-Luc Dolmaire
« S’il y a une nouvelle
grande extinction, le premier
à en pâtir sera l’homme »
Les prix La Science se Livre 2014
Deux ouvrages de vulgarisation scientifique ont été récompen-
sés dans le cadre de la manifestation organisée par le conseil
général. Il s’agit d’
Histoire des dinosaures
de Ronan Allain aux
éditions Perrin dans la catégorie « Adultes » et, dans la catégo-
rie « Adolescents »,
Ida, L’extraordinaire histoire d’un primate
vieux de 47 millions d’années
de Jorn Hurum, Torstein Helleve
et Esther Van Hulsen aux éditions Albin Michel Jeunesse.
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