Previous Page  28-29 / 76 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 28-29 / 76 Next Page
Page Background



|

HDS

mag

|

n°47 - mai-juin 2016

mai-juin 2016 - n°47

|

HDS

mag

|



2

en t r e t i en

maga z i ne

Les enfants peuvent

travailler aussi bien sur

des musiques populaires

que classiques. Il n’y a pas

de perception négative.

forme à l’oreille

mais aussi à la mémoire

et à la citoyenneté

La musique

HDS

Depuis la création de Démos, plus de mille enfants

ont bénéficié du dispositif, dans des quartiers bénéfi-

ciant de la politique de la Ville. L’objectif est-il de susciter

des vocations ?

LB

Si l’on suscite des vocations, tant mieux. Mais nous recherchons

davantage un effet d’intégration, de découverte, afin de permettre

un certain épanouissement de l’enfant. La musique forme à l’oreille

mais aussi à la mémoire et à la citoyenneté. Des enfants qui peuvent

être en rupture se retrouvent face à d’autres enfants avec qui ils doivent

jouer. C’est vraiment un modèle de citoyenneté positive.

HDS

Vous accordez beaucoup d’importance aux valeurs

de partage et de transmission…

LB

Je parle de partage pour une raison très simple : dans la musique,

il y a deux aspects. Celui de concevoir, analyser, comprendre, réfléchir

autour de la musique mais aussi l’acte de transmettre qui passe par

le partage. La musique, c’est une forme d’enrichissement individuel :

il y a des œuvres d’art qui ont été conçues à une époque et un lieu

donné et qui deviennent des références universelles. La transmission,

c’est mettre ces œuvres de l’esprit à la portée du plus grand nombre.

La musique est un art qui peut traduire les états de l’âme humaine mais

elle peut être aussi un outil pour créer des modes de vie collectifs.

n

Propos recueillis par Mélanie Le Beller

Photos : Jean-Luc Dolmaire

Directeur de la Philharmonie de Paris, Laurent Bayle a lancé le dispositif Démos

afin de démocratiser

la musique classique et la rendre accessible aux plus jeunes.

HDS

Comment luttez-vous contre ce que vous appelez

la « spécialisation » ?

LB

Dans les décennies à venir, il va falloir lutter contre cette spéciali-

sation qui au final devient un cloisonnement et proposer des formes plus

ouvertes qui placent le concert au cœur du dispositif mais avec toutes

sortes de satellites autour. À la Philharmonie, nous avons pris conscience

de ces difficultés liées aux modes de vie et nous avons décidé de revoir

les animations le week-end, qui est le moment où toutes les barrières

peuvent tomber. Les enfants peuvent aller en atelier d’éveil musical

ou participer à des activités qu’ils peuvent partager avec leurs parents.

C’est dans cette forme de transversalité que l’on arrive à dépasser

la spécialisation et le cloisonnement.

HDS

À l’heure du numérique et des nouvelles technologies,

comment la musique classique peut-elle capter de nouveaux

publics ?

LB

La musique repose encore aujourd’hui sur un modèle issu du XIX

e

siècle avec uniquement le concert et des outils de documentation

minimaux. Il faut se projeter dans d’autres espaces et pour le public

nouveau, il faut de nouvelles stratégies qui misent sur l'élargissement

et l'éducation du public et qui favorisent les outils numériques

pour sa diffusion et son enseignement à l'école. Aujourd’hui, les plus

grands chefs se prêtent au jeu du concert commenté, les compositeurs

écrivent des œuvres participatives réunissant professionnels et élèves.

La Philharmonie a été pensée dans l’idée de mêler les publics.

HDS

Attirer un public différent du public traditionnel de la

musique classique, c’est l’un des objectifs de Démos. Comment

est né ce projet ?

LB

Le projet Démos est né du constat que le public de la musique

classique était généralement âgé et privilégié. Nous voulons aller vers

un public plus populaire et regroupant toutes les générations. Une des

clés d’entrée, c’était d’essayer d’inscrire la pratique de la musique

classique dès l’enfance avec la création d’orchestres d’enfants. Nous avons

commencé en Île-de-France et notamment dans les Hauts-de-Seine.

Puis récemment, nous avons pensé que le modèle pouvait essaimer

dans les autres régions.

HDS

Pourquoi avoir choisi cette tranche d’âge ?

LB

Avant la préadolescence, soit environ dix ou onze ans - il n’y a pas

de représentation figée de la musique. Nous voulions donc nous situer

dans cette tranche d’âge, avant que les représentations sociales habituelles

ne l’emportent. Le désintérêt des enfants se construit socialement à partir

de l’adolescence. Quand on s’adresse à des enfants de huit ans, on peut

les faire travailler aussi bien sur des formes ayant trait à des cultures

populaires comme le rap ou le hip-hop que sur des formes classiques.

Il n’y a pas de perception négative pour l’une ou l’autre. Il y a une capacité

d’absorption et d'intégration qui fonctionne sur toutes les musiques.

HDS

En ouvrant la Philharmonie, en janvier 2015, vous

vouliez en faire un « Beaubourg de la musique », c’est-à-dire

un bâtiment qui ne serait pas uniquement une salle de concert.

Le pari est-il réussi ?

LB

Le premier bilan est plus qu’encourageant avec un succès public

au-delà de ce que les plus fervents défenseurs pouvaient espérer.

Au total, nous avons réuni près de 400 000 personnes depuis

l’ouverture. Dans les années 90, la Cité de la Musique avait déjà deux

salles de concert, un musée et une médiathèque. Le fait d’avoir réuni

ce bâtiment avec la Philharmonie permet de se rapprocher de l’idée

du Centre Pompidou. Ici, sur un seul site, pour un seul art, vous avez

des concerts, des ateliers et des expositions. Nous avons voulu trans-

former le modèle traditionnel de la salle de concert qui n’ouvre qu’en

soirée, uniquement pour les connaisseurs. C’est désormais un lieu

ouvert où le public peut entrer dans la musique par d’autres modes

d’accès comme les expositions temporaires ou les activités éducatives.

Nous avons toute une gamme de propositions allant du concert scolaire

au spectacle jeune public.

HDS

Le public de la musique classique est plus âgé que

la moyenne des Français. À votre avis, pourquoi la jeune

génération se désintéresse-t-elle de ce genre musical ?

LB

Il existe des frontières artificielles qui sont généralement créées

par nos modes de vie. En semaine, les gens se lèvent tôt, travaillent

tard. Si vous êtes mélomane, vous pouvez faire l’effort de vous déplacer

en semaine mais sinon, même en étant curieux, vous avez beaucoup

de handicaps : la vie familiale, les temps de transport, le travail.

De manière plus large, il est évident que c’est au niveau de l’éducation

que se situe le plus grave problème. C’est à l’école que l’on constate

le plus grand retard concernant les matières d’éveil artistique par

rapport aux pays étrangers. Ainsi, la moyenne d’âge du public des

concerts est plus élevée que celle des Français et les jeunes générations

sont de moins en moins présentes. Il y a donc un danger de perte

de transmission à long terme.