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n°47 - mai-juin 2016
mai-juin 2016 - n°47
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en t r e t i en
maga z i ne
Les enfants peuvent
travailler aussi bien sur
des musiques populaires
que classiques. Il n’y a pas
de perception négative.
forme à l’oreille
mais aussi à la mémoire
et à la citoyenneté
La musique
HDS
Depuis la création de Démos, plus de mille enfants
ont bénéficié du dispositif, dans des quartiers bénéfi-
ciant de la politique de la Ville. L’objectif est-il de susciter
des vocations ?
LB
Si l’on suscite des vocations, tant mieux. Mais nous recherchons
davantage un effet d’intégration, de découverte, afin de permettre
un certain épanouissement de l’enfant. La musique forme à l’oreille
mais aussi à la mémoire et à la citoyenneté. Des enfants qui peuvent
être en rupture se retrouvent face à d’autres enfants avec qui ils doivent
jouer. C’est vraiment un modèle de citoyenneté positive.
HDS
Vous accordez beaucoup d’importance aux valeurs
de partage et de transmission…
LB
Je parle de partage pour une raison très simple : dans la musique,
il y a deux aspects. Celui de concevoir, analyser, comprendre, réfléchir
autour de la musique mais aussi l’acte de transmettre qui passe par
le partage. La musique, c’est une forme d’enrichissement individuel :
il y a des œuvres d’art qui ont été conçues à une époque et un lieu
donné et qui deviennent des références universelles. La transmission,
c’est mettre ces œuvres de l’esprit à la portée du plus grand nombre.
La musique est un art qui peut traduire les états de l’âme humaine mais
elle peut être aussi un outil pour créer des modes de vie collectifs.
n
Propos recueillis par Mélanie Le Beller
Photos : Jean-Luc Dolmaire
Directeur de la Philharmonie de Paris, Laurent Bayle a lancé le dispositif Démos
afin de démocratiser
la musique classique et la rendre accessible aux plus jeunes.
HDS
Comment luttez-vous contre ce que vous appelez
la « spécialisation » ?
LB
Dans les décennies à venir, il va falloir lutter contre cette spéciali-
sation qui au final devient un cloisonnement et proposer des formes plus
ouvertes qui placent le concert au cœur du dispositif mais avec toutes
sortes de satellites autour. À la Philharmonie, nous avons pris conscience
de ces difficultés liées aux modes de vie et nous avons décidé de revoir
les animations le week-end, qui est le moment où toutes les barrières
peuvent tomber. Les enfants peuvent aller en atelier d’éveil musical
ou participer à des activités qu’ils peuvent partager avec leurs parents.
C’est dans cette forme de transversalité que l’on arrive à dépasser
la spécialisation et le cloisonnement.
HDS
À l’heure du numérique et des nouvelles technologies,
comment la musique classique peut-elle capter de nouveaux
publics ?
LB
La musique repose encore aujourd’hui sur un modèle issu du XIX
e
siècle avec uniquement le concert et des outils de documentation
minimaux. Il faut se projeter dans d’autres espaces et pour le public
nouveau, il faut de nouvelles stratégies qui misent sur l'élargissement
et l'éducation du public et qui favorisent les outils numériques
pour sa diffusion et son enseignement à l'école. Aujourd’hui, les plus
grands chefs se prêtent au jeu du concert commenté, les compositeurs
écrivent des œuvres participatives réunissant professionnels et élèves.
La Philharmonie a été pensée dans l’idée de mêler les publics.
HDS
Attirer un public différent du public traditionnel de la
musique classique, c’est l’un des objectifs de Démos. Comment
est né ce projet ?
LB
Le projet Démos est né du constat que le public de la musique
classique était généralement âgé et privilégié. Nous voulons aller vers
un public plus populaire et regroupant toutes les générations. Une des
clés d’entrée, c’était d’essayer d’inscrire la pratique de la musique
classique dès l’enfance avec la création d’orchestres d’enfants. Nous avons
commencé en Île-de-France et notamment dans les Hauts-de-Seine.
Puis récemment, nous avons pensé que le modèle pouvait essaimer
dans les autres régions.
HDS
Pourquoi avoir choisi cette tranche d’âge ?
LB
Avant la préadolescence, soit environ dix ou onze ans - il n’y a pas
de représentation figée de la musique. Nous voulions donc nous situer
dans cette tranche d’âge, avant que les représentations sociales habituelles
ne l’emportent. Le désintérêt des enfants se construit socialement à partir
de l’adolescence. Quand on s’adresse à des enfants de huit ans, on peut
les faire travailler aussi bien sur des formes ayant trait à des cultures
populaires comme le rap ou le hip-hop que sur des formes classiques.
Il n’y a pas de perception négative pour l’une ou l’autre. Il y a une capacité
d’absorption et d'intégration qui fonctionne sur toutes les musiques.
HDS
En ouvrant la Philharmonie, en janvier 2015, vous
vouliez en faire un « Beaubourg de la musique », c’est-à-dire
un bâtiment qui ne serait pas uniquement une salle de concert.
Le pari est-il réussi ?
LB
Le premier bilan est plus qu’encourageant avec un succès public
au-delà de ce que les plus fervents défenseurs pouvaient espérer.
Au total, nous avons réuni près de 400 000 personnes depuis
l’ouverture. Dans les années 90, la Cité de la Musique avait déjà deux
salles de concert, un musée et une médiathèque. Le fait d’avoir réuni
ce bâtiment avec la Philharmonie permet de se rapprocher de l’idée
du Centre Pompidou. Ici, sur un seul site, pour un seul art, vous avez
des concerts, des ateliers et des expositions. Nous avons voulu trans-
former le modèle traditionnel de la salle de concert qui n’ouvre qu’en
soirée, uniquement pour les connaisseurs. C’est désormais un lieu
ouvert où le public peut entrer dans la musique par d’autres modes
d’accès comme les expositions temporaires ou les activités éducatives.
Nous avons toute une gamme de propositions allant du concert scolaire
au spectacle jeune public.
HDS
Le public de la musique classique est plus âgé que
la moyenne des Français. À votre avis, pourquoi la jeune
génération se désintéresse-t-elle de ce genre musical ?
LB
Il existe des frontières artificielles qui sont généralement créées
par nos modes de vie. En semaine, les gens se lèvent tôt, travaillent
tard. Si vous êtes mélomane, vous pouvez faire l’effort de vous déplacer
en semaine mais sinon, même en étant curieux, vous avez beaucoup
de handicaps : la vie familiale, les temps de transport, le travail.
De manière plus large, il est évident que c’est au niveau de l’éducation
que se situe le plus grave problème. C’est à l’école que l’on constate
le plus grand retard concernant les matières d’éveil artistique par
rapport aux pays étrangers. Ainsi, la moyenne d’âge du public des
concerts est plus élevée que celle des Français et les jeunes générations
sont de moins en moins présentes. Il y a donc un danger de perte
de transmission à long terme.