mai-juin 2015 - n°41
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n°41 - mai-juin 2015
c u l t u r e
po r t r a i t
© A
DRIEN
T
OUBIANA
2013
n l’appelle « la Jeanne d’Arc
du design », rien de moins.
Un hommage à sa foi dans
un design créatif, synonyme
de générosité, une démarche
qui balaie les stéréotypes, révolutionne
les pratiques quotidiennes en plaçant l’être
humain au cœur des projets. Mais aussi un
clin d’œil à son look, cette coupe de cheveux
«
à la Jeanne d’Arc
» qui en fait un personnage
immédiatement reconnaissable et inspire la
rotondité de son logo - des cercles imbriqués
figurant les notions de partage et de «
vivre-
ensemble
». Nathalie Crasset, née en 1965,
à Châlons-en-Champagne, signe « matali
crasset », une déformation de son nom comme
le ferait un enfant qui fusionne son identité et
son travail. «
L’ingrédient sur lequel je travaille, c’est
la vie. Donc je ne vais pas faire semblant, je ne suis
pas dans une posture, ma vie et mon travail ne font
qu’un
». Elle est d’ailleurs issue d’une famille
d’agriculteurs pour qui justement «
la vie et le
travail se confondent
». De sa jeunesse, elle évoque
rapidement «
une enfance heureuse
», «
une sœur
jumelle
», «
des parents ouverts au monde
», «
un
environnement et du temps pour développer l’ima-
ginaire
». Aujourd’hui elle habite Belleville, dans
une ancienne imprimerie : «
ma maison n’est pas
un cocon mais un espace ouvert
», insiste-t-elle.
Le regard est direct, cerné par une large paire
de lunettes, le discours rigoureux, habité par
la question, centrale chez elle, du lien social.
C’est après des études de marketing que Matali
Crasset découvre son intérêt pour le design.
Entrée à l’ENSCI de Paris, elle est d’abord
designer
industriel, collabore à Milan avec Denis
Santachiara «
qui intègre les nouvelles technologies
et leur potentiel poétique au design
». En 1993,
elle devient la collaboratrice de Philippe Starck
avant de voler de ses propres ailes en créant,
en 1998, sa propre entreprise « matali crasset
productions ». Dès lors, elle organise le sens
de son travail sous forme de fictions et de récits
qui questionnent l’évidence des codes régissant
notre vie quotidienne. Créée en 1999, l’œuvre
Quand Jim monte à Paris
(un lit d’appoint) en est
le symbole. Les réalisations se succèdent dans
les domaines du mobilier, graphisme, scéno-
graphie, architecture intérieure, industrie textile,
artisanat, art contemporain… Que ce soit pour
le musée de Bois-le-Duc aux Pays-Bas ou pour
une grande entreprise suédoise de mobilier
et d’objets de décoration, il s’agit toujours de
«
créer en poursuivant cet esprit de liberté qui
détourne et modifie
». Au prestigieux Salon du
mobilier de Milan, elle présente des luminaires
et des objets singuliers qui lui ressemblent.
Parallèlement elle crée une ligne de vêtements
d’enfants, de chaussures pour femmes, compose
des scénographies pour des expositions aux
Arts déco à Paris ou pour l’art contemporain
au Salon de Montrouge. Un design éclectique,
créatif, inventant, à partir de l’observation de
la vie quotidienne des logiques de vie alterna-
tives. Le
Blobterre
au Centre Pompidou (2012)
est un univers dédié aux enfants. Le
Voyage
en Uchronie
(2013), cinquième exposition
à la galerie Thaddaeus Ropac, poursuit sa
réflexion autour d’univers expérimentaux. Les
commandes publiques installent ses projets
participatifs enmilieu rural ou urbain,
La maison
des Petits
pour le Centquatre à Paris, ou les
Maisons sylvestres - Le Nichoir, La Noisette
- pour
le Vent des Forêts, en Meuse. Le
design
devient
alors «
un outil de reconquête de l’espace public
».
Matali Crasset imagine aussi une nouvelle forme
d’hôtels, Hi Life, économique et écologique.
Avec le Dar Hi, écolodge à Nefta en Tunisie et le
Hi Matic à Paris elle entend démontrer qu’«
on
ne consomme pas un lieu, on donne envie de vivre
une expérience
». Un beau projet de bibliothèque
municipale à Genève lui permet actuellement
d’associer «
culturel, social et transmission
»,
dans le contexte de l’arrivée du numérique.
À Trébédan, dans les Côtes-d’Armor, parents,
institutrices, habitants, élus, avec l’aide de la
Fondation de France, lui ont confié la réhabili-
tation et l’extension de l’école Le Blé en herbe.
Ce projet emblématique, inauguré en 2015,
a pour objectif de recréer un cœur de village.
L’école devenue plateforme multifonctionnelle
et cinq microarchitectures, dites «
extensions de
générosité
», ouvrent désormais le lieu à d’autres
usages. Des réalisations qui illustrent la seule
exigence de Matali Crasset : «
je ne revendique rien
ou alors le droit de faire des propositions de vie
».
O
Alix Saint-Martin
Du 5 mai au 3 juin.
www.salondemontrouge.frO
MATALI CRASSET SIGNE LA SCÉNOGRAPHIE DU 60
e
SALON DE MONTROUGE. SON
DESIGN
INNOVANT
LUI VAUT UNE NOTORIÉTÉ INTERNATIONALE.
“
“
Ce qui m’intéresse
ce sont les scénarios
de vie, partir
de ce qu’on a
en commun.
Quand je commence
à dessiner
c’est l’intention
qui compte,
ce n’est pas la forme
et la fonction,
c’est ce que je
peux apporter,
donner aux autres :
j’injecte de la
diversité, de la vie,
ça va passer par des
structures évolutives
qui proposent
aux gens d’avoir
une action sur
les objets.
Matali
Crasset