

mars-avril 2016 - n°46
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HDS
mag
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do s s i e r
E
lle préfère rester discrète sur les origines et
les détails de son handicap. «
Je ne comprends
pas ce besoin qu’ont les gens de mettre un nom sur
quelque chose qu’ils ne connaissent pas, qu’ils ne
comprennent pas. Je pourrais donner n’importe quel mot vaguement
grec que ça les rassurerait
, explique-t-elle, sans détour.
Surtout, je ne
veux pas que l’on fasse de moi le porte-parole de toutes les personnes
qui ont la même pathologie. Même si mon handicap fait partie
de mon quotidien, ce n’est pas ce qui me définit le plus. Je ne peux
pas le nier mais je préfère ne pas en faire des tonnes.
» Pour le reste,
Charlotte de Vilmorin se raconte facilement, avec aisance et
surtout avec humour.
Trapéziste
Elle a commencé à le faire en 2012 sur internet via un blog
Wheelcome.netou les «
itinéraires d’une jeune Parisienne en
fauteuil roulant
». «
Au départ, je l’ai fait pour mes copains.
Je trouvais ça dingue – alors qu’on se connaissait bien – qu’ils ne se
rendent pas compte de ce qu’est mon quotidien, de toutes les galères
auxquelles on peut être confronté quand on est en fauteuil. Je me
suis dit que j’allais le leur raconter de façon marrante. Parce que,
par moments, les situations sont tellement absurdes qu’il vaut mieux
en rire.
» Les anecdotes ne manquent pas en effet : le gardien
d’une mosquée d’Istanbul qui scotche les roues de son fauteuil
pour qu’elle puisse rentrer quand les autres visiteurs doivent
se déchausser, une panne du même fauteuil «
à 4 h du mat sur
le dancefloor d’une boîte de nuit
», un salarié de Pôle Emploi qui
dégonde la porte des toilettes pour fabriquer une rampe et pallier
une panne de la plateforme électrique… Très vite, le site attire des
lecteurs bien au-delà des proches de la blogueuse et va jusqu’à
intéresser des maisons d’édition. Charlotte choisira finalement
Grasset qui lui laisse «
carte blanche
». En mars dernier paraît
ainsi
Ne dites pas à ma mère que je suis handicapée, elle me croit
trapéziste dans un cirque
. Un «
récit de vie
» où Charlotte, née
en 1990 à Paris, évoque son enfance, ses études, ses sorties,
ses voyages… «
J’ai toujours été dans une école normale avec des
enfants valides. Mes parents sont allés à l’encontre du corps médical
qui leur avait conseillé de m’envoyer dans un centre spécialisé. Ils
ont fait un choix différent. Ça a été un vrai combat. Mais ça valait
le coup.
» Baccalauréat, hypokhâgne, grande école parisienne,
stage dans une agence de pub, les choses avancent jusqu’au
jour où Charlotte se voit proposer un contrat. «
Alors que mes
transports avaient toujours été pris en charge pendant ma scolarité,
là, ils ne l’étaient plus. Ça me coûtait quatre fois mon salaire d’aller
travailler. Ça, je ne l’avais pas vu venir et surtout je ne le comprenais
pas. Je me disais que si on m’avait donné l’opportunité de faire des
études c’était bien dans le but que je trouve un job.
» Pour Charlotte
de Vilmorin, «
cette problématique de la mobilité est le plus grand
Déjà blogueuse et écrivain,
Charlotte de
Vilmorin est aussi, depuis peu, et à seulement
26 ans, chef d’entreprise.
obstacle
». Son exemple typique : le mariage d’une amie auquel
elle a dû renoncer. «
L'hôtel était aménagé. Le lieu de réception aussi.
Le train, pas de souci non plu
s, énumère-t-elle.
Mais comment me
déplacer une fois arrivée à la gare ?
»
À l’international
C’est ce qui lui donnera l’idée de créer Wheeliz, une plateforme
de location de voitures aménagées entre particuliers «
L’activité à
proprement parler a démarré il y a un an. Ça fonctionne bien. Nous
sommes quatre désormais : deux associés et deux salariés. On vient
d’être élu meilleur projet d’innovation sociale par la Commission
européenne, une belle récompense.
» Depuis quelques semaines,
le site est aussi disponible en espagnol, anglais, allemand
et italien. «
On a des locataires qui viennent de l’étranger et qui
cherchent des voitures pour leur séjour en France. En ce moment,
on travaille à internationaliser la plateforme en commençant par les
pays limitrophes. Ce besoin existe partout. C’est une solution pour
la vie de tous les jours mais aussi pour le tourisme. Car prendre le
train ou l’avion, louer une chambre dans un hôtel accessible, c’est
possible. Mais ce sont toujours les derniers kilomètres qui bloquent
et qui font que les gens renoncent.
» Charlotte, elle, a déjà été à
Londres, aux Pays-Bas, en Russie… En Inde où elle n’avait pas
le droit d’entrer dans les temples et où on refusait de la servir
au restaurant. Mais aussi aux Émirats Arabes Unis et aux États-
Unis où tout était accessible. «
En Floride, j’étais presque frustrée
,
plaisante-t-elle.
Je trouvais ça tellement fou de ne pas réussir à
trouver d’endroits inaccessibles.
» En France, elle regrette l’aspect
«
trop contraignant
» de la loi de 2005 sur l’accessibilité. «
Les
rampes en kit ou amovibles ne sont pas considérées aux normes. Mais
une rampe fixe demande des travaux d’aménagement, du temps, de
l’argent… On devrait être plus souple,
pense-t-elle
. Dans ce cas-là,
le mieux est clairement l’ennemi du bien.
»
n
Émilie Vast
Mes parents sont
allés à l’encontre du
corps médical qui
leur avait conseillé
de m’envoyer dans
un centre spécialisé.
Ça a été un vrai
combat. Mais ça
valait le coup.
CD92 / O
livier
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