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n°46 - mars-avril 2016
L
a démarche assurée, la poignée de main ferme,
rien ne distingue Pascal Portier des autres cadres
supérieurs si ce n’est son «
handicap invisible
»
comme il l’appelle : il est déficient visuel profond,
quasi non voyant depuis l’âge de treize ans.
«
C’est tombé sur ma pomme.
» C’est ainsi qu’il explique
pudiquement comment la maladie de Leber l’a pratiquement
privé en six mois du sens visuel. «
C’est une maladie orpheline qui
provoque une dégénérescence du nerf optique et qui ne se transmet
que par la mère.
» Après une période «
un peu creuse et bizarre
»
de «
méga-déni
» autour de sa quatorzième année, son amour
du sport - il a pratiqué pendant longtemps la gymnastique - et
des études le sauvera. Il fait son lycée à l’Institut national des
jeunes aveugles (INJA), à Paris, où tout est adapté pour que
les déficients visuels étudient dans les meilleures conditions.
«
À cette époque, il y avait pas d’ordinateurs, le braille s’écrivait à la
main. Nous prenions des notes des cours en braille, les livres nous les
écoutions sur cassettes audio. Le corps pédagogique était extraordi-
naire.
» Après son bac, il veut devenir professeur de sport mais
bifurque finalement vers l’économie et obtient un magistère
Banque-Finance puis un DESS de Techniques financières et
boursières.
En 1992, il entre à La Poste, une entreprise qu’il n’a plus quittée
depuis. «
J’ai toujours eu le sens du service. Je suis animé par l’envie
de faire avancer les choses, de prendre des risques.
» Il travaille
successivement à la direction financière, à celle du courrier,
puis comme directeur marketing de l’Enseigne La Poste, avant
de devenir en 2013 directeur du réseau et de la Banque postale
dans les Hauts-de-Seine : «
un territoire énorme, avec près de
1 300 employés.
»
Mais surtout, de 2004 à 2006, Pascal Portier prend les rênes du
projet Considération et prise en compte du handicap au sein de
Pascal Portier est directeur de projet au sein
du Groupe La Poste.
La suite logique d’un
parcours professionnel riche pour ce financier
de formation, malvoyant depuis l’âge de 13 ans.
l’entreprise. «
Je donnais pas mal de mon temps en externe pour des
thématiques comme le handicap et l’entreprise. Pour moi, c’était aussi
une manière de rendre à l’entreprise ce qu’elle m’avait donné. C’était
le bon moment.
» Avec la loi Handicap de 2005, la France doit
agir dans le domaine de l’accessibilité aux bâtiments recevant du
public pour les personnes à mobilité réduite ou sur l’employa-
bilité des personnes en situation de handicap. Mais un grand
champ reste à explorer. «
La Poste, ce sont plus de vingt mille sites
recevant ou non du public. Le plan d’action pouvait avoir un impact
énorme !
». Avec humilité, Pascal Portier estime avoir fait bouger
les choses. «
Nous avons renforcé les accords, avec des engagements
de recrutement de personnes handicapées, la mise en accessibilité des
bâtiments pour les personnes à mobilité réduite, l’accessibilité des sites
internet pour tous les types de handicap…
»
Ovni
En décembre 2015, il est devenu directeur du projet Servir
le développement au sein du Groupe La Poste. Son rôle est
désormais d’améliorer la coordination et la performance des
sièges et des différentes branches du Groupe (courrier, colis,
bureaux de poste, banque) afin de s’adapter aux évolutions liées
à l’apparition numérique.
Mais aujourd’hui encore, il continue d’aider les personnes
malvoyantes ou non-voyantes de l’entreprise. Car leur quotidien
reste un grand monde «
de quiproquos et d’incompréhension
».
«
On ne sait pas ce que les malvoyants voient ou pas. Et quand on ne
comprend pas, il y a toujours une forme de réticence, voire de peur.
Nous sommes considérés comme des Ovni !
» Pour lui, l’adaptation
des personnes handicapées reste un sujet d’actualité. «
L’inté-
gration individuelle sans le handicap pose déjà question. Avec, tout
est amplifié. Si une personne à mobilité réduite arrive dans un
endroit où il n’y a pas de rampe, elle se retrouve hors du cercle.
»
Dans son quotidien, Pascal Portier s’aide, lui, de grossisseurs
ou de logiciels de synthèse vocale, ce qui n’empêche pas d’être
contraint à une intense organisation. «
Je compense en perma-
nence. Si tout est accessible par voie électronique, cela va aussi me
prendre plus de temps et demander dix fois plus d’énergie. Ma devise
est
‘je m’adapte aux autres’
car c’est encore le plus simple…
»
n
Mélanie Le Beller
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