janvier-février 2017 - n°51
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HDS
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po r t r a i t
uinquagénaire comme
son prédécesseur, Daniel
Jeanneteau semble appartenir
à la même lignée faustienne
de ceux qui ne vieillissent jamais. La flamme du spectacle
vivant peut-être, à moins qu’il ne s’agisse tout bonnement de
l’air particulier de ce théâtre. En témoignerait Bernard Sobel,
son fondateur en 1964, qui en a été l’âme pendant quarante ans
et est demeuré un jeune vieil homme passionné par le théâtre
au présent.
Prolonger et approfondir
À l’aube d’un nouveau mandat, il est tentant d’imaginer révolu-
tions et ruptures, voire de chercher quelques noises façon tabloïd.
Ce n’est pas le genre : Pascal Rambert et Daniel Jeanneteau
sont de la même génération, ils se connaissent, s’apprécient,
travaillent ensemble parfois. Même si le regard et les projets
diffèrent, par la force des caractères distincts et du temps qui a
passé. «
Avec Pascal, la programmation a toujours été très excitante,
inattendue, très ouverte au monde. J’y souscris. De même pour
les formes hybrides, la danse, les arts plastiques : je ne refermerai
aucune des portes qu’il a ouvertes. Ce sont des forces accumulées sur
lesquelles le théâtre s’appuie aujourd’hui. Mais pour les prolonger et
les approfondir, il faut absolument travailler à renouer avec la ville,
la population de Gennevilliers, la proximité. Il y a aujourd’hui une
forme de suspicion vis-à-vis des artistes qui paraissent être des privi-
légiés faisant des choses inutiles, ou tellement compliquées, ou tellement
ennuyeuses, qu’on ne va pas les voir.
» Le regard se fait malicieux :
«
Ce qui est souvent faux… Parfois, par mégarde, des gens viennent
quand même et sont alors bouleversés par un spectacle nouveau.
La rencontre est toujours possible.
»
Pour et avec les autres
«
La population qui va au théâtre aujourd’hui est bien plus nombreuse
que dans les années cinquante et soixante. Néanmoins, au regard
de l’effort public fourni chaque année, c’est encore très insuffisant.
La plupart des centres dramatiques nationaux de banlieue sont encore
considérés comme des théâtres parisiens mal placés, avec des problèmes
de transport ! Il serait temps de rompre avec cette idée-là…
»
Il n’y aura pas de recette miracle, mais des partenaires réguliers,
le comédien Lazare «
volcanique, hyperprésent, éclatant
»,
le metteur en scène Adrien Béal, «
intérieur, sensible, saisissant
».
Du long terme sur le terrain avec des auteurs, comme Sonia
Chiambretto et Yoann Thommerel, invités à s’immerger parmi
les habitants pour «
un travail de collecte poétique avec, au bout,
la possibilité de spectacles.
» Des projets de circulation des arts
dans la ville, en partenariat avec le conservatoire Edgar-Varèse
et la galerie d’art contemporain Édouard-Manet. Des idées
de relations à l’échelle de la ville, du département et de la région.
«
J’aimerais aussi que la maison soit vivante en dehors des représen-
tations. Vitez disait : les théâtres sont comme les couvents, on y prie
pour le monde à l’insu des gens…
»
Le trouble et lemalentendu
Aller à la rencontre du spectateur n’est pas non plus lui offrir
quelque chose à consommer, ni satisfaire ses attentes : «
Mon
but dans ce métier est qu’il y ait du vivant, de l’émotion, du trouble.
Comment faire un spectacle qui soit aussi important pour moi que la
mort dema grand-mère ? Je l’ai vécu, j’ai vu certains spectacles qui m’ont
vraiment atteint.
» Il cite la troupe de Pina Bausch, des mises en
scène deKlausMichael Grüber, le cinéma de Tarkovski. «
L’émotion
dans ce domaine-là s’apparente à une forme de blessure. On y repense
ensuite, on y revient, on a besoin de la guérir. C’est ce travail de guérison
qui m’intéresse. Je crois à l’émotion comme origine de la pensée.
»
Et ainsi faire confiance au public pour partager avec lui cette
même émotion ? «
Pas forcément la même : je crois aussi beaucoup
à l’intérêt des malentendus ! L’histoire de l’art en est truffée : l’émotion
que produit en nous une statue égyptienne n’a certainement rien
à voir avec celle qu’elle produisait à son époque. Mais peu importe,
c’est un registre d’intensité qui agit sur le corps, et notre pensée
devant une œuvre est une pensée d’aujourd’hui. D’ailleurs, plutôt
que le terme de contemporain, qui est toujours un peu abrupt et
surplombant, je préfère le terme de présent : la présence du comédien,
la présence au monde, vivre et aimer le présent. Les œuvres en phase
avec ce présent m’intéressent, que ce soit Shakespeare ou un auteur
vivant. C’est exactement le cœur de notre travail.
»
n
Didier Lamare
Je me sens
augmenté par la
présence des autres.
À plusieurs, on peut
concevoir quelque
chose de plus
grand que soi.
CD92/O
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