Les grandes périodes artistiques
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Picasso, perpétuel inventeur
Aquatintes au sucre et gravures sur linoléum
Picasso pratiqua la gravure tout au long de sa longue carrière artistique, assimilant les
techniques traditionnelles et inventant de nouveaux procédés. Dans sa production,
deux techniques atypiques illustrent chacune un moment particulier de son activité
de graveur : l’aquatinte au sucre et la gravure sur linoléum. Enseignée à Picasso par le
taille-doucier Roger Lacourière en 1936, alors qu’il travaillait à l’
Histoire naturelle
de
Buffon, le procédé technique au sucre diffère de l’aquatinte classique. Elle s’obtient
en plusieurs étapes successives : le graveur « graine » la plaque de cuivre (la recouvre
de résine), dessine au pinceau toutes les parties dont il souhaite qu’elles soient atta-
quées par le mordant avec une solution à base de sucre, d’encre de Chine et d’eau,
applique un léger vernis sur toute la plaque, puis dissout le sucre au contact d’une eau
tiède (qui soulève, en même temps, le vernis, laissant le motif à nu) avant de plonger
lamatrice dans le bain d’acide et d’obtenir lamorsure désirée. L’effet final s’apparente
à un dessin à l’encre d’une grande finesse. C’est Ambroise Vollard qui eut l’idée de
rééditer l’
Histoire naturelle
de Buffon, avec des gravures de l’artiste. À la même
époque, le marchand d’art avait passé commande à l’artiste d’une centaine de gra-
vures (la « suite Vollard »), comprenant le
Faune dévoilant une femme
, inspiré du
célèbre
Jupiter et Antiope
du Titien, que Picasso avait vu au Louvre. Pour l’
Histoire
naturelle
, Picasso, considérant que la faune de Buffon ne lui correspondait pas en
tout point, prit quelques libertés : il introduisit la puce, échangea le bœuf contre un
taureau espagnol, plaça la biche au lieu du cerf, la lionne à la place du lion.
La période des linoléums, bien plus tardive, s’appuya sur la rencontre, en 1948, avec Hidalgo Arnera, imprimeur à Vallauris et expert en linogra-
vure. Elle débuta en 1954, puis se développa entre 1958 et 1967. Elle se rattache également à un chef-d’œuvre : le
Portrait de jeune fille
d’après Cranach le Jeune en six couleurs. Les linoléums, comme la gravure sur bois, appartiennent aux gravures en relief, mais n’apparurent qu’en
1900. Le graveur fixe la matrice (une plaque souple et tendre de linoléum) sur une plaque de bois (« bateau ») et dessine le sujet en enlevant
de la matière (seules les lignes et surfaces restées en relief seront imprimées). Pour parvenir aux effets désirés, Picasso utilisait la gouge, qu’il
combinait éventuellement avec le canif, afin d’obtenir des traits plus fins, et le
grattoir pour les modelés. Pour la polychromie, l’artiste employa d’abord le procédé
classique, gravant un plateau différent par couleur, puis imprimant chaque plateau
sur une même feuille. Picasso inventa ensuite un nouveau procédé consistant à
graver un seul plateau pour toutes les couleurs. Il reporta alors progressivement sa
composition sur ce plateau unique en imprimant chaque couleur aprèsmodification.
Ce procédé n’admettait pas l’erreur et demandait en outre l’usage d’encres qui se
superposent sans trop se mélanger. La
Bacchanale
(Ill. 6), présentée dans l’exposi-
tion, illustre un thème classique, souvent exploité par Picasso. La liesse et la joie des
personnages, simples aplats de couleur cernés de noir, sur un fond de verdure qui
ondule et accueille le bleu azur d’une pièce d’eau, évoque, cette fois assez claire-
ment, le souvenir de Matisse.
La Chèvre
1936
Aquatinteausucre
,grattoiretpointesèchesurcuivre.II eétat.
ÉpreuvetiréeparLacourière44,8x34,9cm
DationPabloPicasso,1979
MuséenationalPicasso-Paris,MP2927
©RMN-GrandPalais(muséenationalPicasso-Paris)/
Jean-GillesBerizzi
©SuccessionPicasso,2017
Bacchanale avec chevreau et spectateur
27novembre1959
Gravureà lagougesur linoléum62x75cm
DationPabloPicasso,1979
MuséenationalPicasso-Paris,MP3472
©RMN-GrandPalais(muséenationalPicasso-Paris)/MathieuRabeau
©SuccessionPicasso,2017
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