janvier-février 2015 - n°39
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HDS
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partent se confronter à la lumière
du Midi. Depuis Collioure, Derain
exhorte son ami à le rejoindre. Res-
sources trop modestes et passion
pour les horizons de son enfance,
conduisent Vlaminck – qui s’est
installé à Rueil depuis 1902 – à
peindre les paysages de Chatou,
Bougival, Nanterre, Argenteuil
…
Toute la vallée de la Seine s’em-
brase sous sa brosse (
Les Arbres
rouges
, 1906 ;
La Seine à Carrières,
1906), de même pour les natures
mortes (
Nature morte au compo-
tier,
1905). Il note : «
Je haussais
les tons, je transposais dans une
orchestration de couleurs pures tous
les sentiments qui m’étaient percep-
tibles..
. » En 1906, le marchand
d’art Ambroise Vollard achète
toutes les toiles de Vlaminck et
lui suggère d’élargir sa création
à la céramique. De 1906 à 1910,
auprès du faïencier André Met-
they, à Asnières, le peintre décore
trois cents céramiques de motifs
animaliers, floraux, géométriques.
En 1907, l’expérience radicale du
fauvisme s’essouffle. «
Cela devient
de la teinturerie ! »,
s’exclame
Derain et Vlaminck confirme :
«
Le jeu de la couleur pure, orches-
tration outrancière dans laquelle je
m’étais lancé à corps perdu, ne me
contentait plus
…
»
Aussi bref et
novateur qu’intense, le mouve-
ment fauviste rejoint historique-
ment l’expressionnisme européen
(
Die Brücke)
. C’est aux avant-
postes que Vlaminck aura vécu
cet incendie pictural.
Paysagiste et témoin
En 1907, Picasso expose à
Paris, en juillet,
Les Demoiselles
d’Avignon,
tableau révolution-
naire. À l’automne, l’hommage
à Cézanne dévoile ses ultimes
Baigneuses.
Une autre manière
de voir et concevoir la peinture
est née. Comme ses amis, Vla-
minck se plie à la discipline céza-
nienne. Il synthétise les formes
géométriques, contient sa ges-
tuelle, adopte les bleus-verts du
maître d’Aix. Mais il n’entre pas
dans le vif du cubisme comme
Braque, Picasso et Juan Gris qui
déconstruisent visuellement le
sujet pour le reconstruire men-
talement. Entre 1909 et 1919,
Vlaminck expérimente sa vision
« cubiste » du portrait (
Autopor-
trait,
1911), du paysage et des
objets (
Bougival,
vers 1911 ;
Nature
morte au couteau,
1910) ou encore
instrumentalise le cubisme pour
dénoncer la guerre (
Puteaux,
1915). En 1913, Kahnweiler, le
marchand d’art des peintres
cubistes, lui signe un contrat
d’exclusivité pour deux ans. «
Vla-
minck ne veut pas être influencé par
les débats autour de l’art
…
,
explique
Véronique Alemany, commissaire
de l’exposition, de l’atelier Gro-
gnard.
Il demeure impulsif, émotif,
affectif
…
il est le grand paysagiste
qui livre un dernier témoignage de
ce qu’était la campagne française au
milieu du XX
e
siècle ».
À partir de 1919, Vlaminck se
retire en effet à Valmondois,
Auvers-sur-Oise, puis en 1925
à Rueil-la-Gadelière où il rési-
dera jusqu’à sa mort en 1958.
Dans une nature préservée qui
représente pour lui «
la vérité du
monde »,
l’ancien fauve retrouve
sa vigueur expressive et renoue
avec la matière. En revanche, il
adopte des formes classiques, des
tons austères, des contrastes vio-
lents. Ses ciels, proches de ceux
de Ruysdael, sont
tourmentés,
le
clair-obscur dramatise les scènes
l ’ex po
de nuit et de neige. La critique
parisienne lui reproche l’aban-
don de sa posture avant-gardiste,
l’absence d’enjeu intellectuel, la
répétition des motifs. Son ami
Maurice Genevoix apprécie la
force lyrique et sincère de ses
transcriptions de la nature. Dans
les toiles des années 30 demeure
le souvenir de la lumière et de la
couleur,
Chênes dans la forêt de
Senonches
et
Meules en hiver
(1937-
38). Vlaminck reçoit le 2
e
prix de
l’exposition internationale Carne-
gie de Pittsburgh. Après l’éclipse
des années 40, son œuvre
retrouve le chemin des galeries.
Vlaminck apparaît aujourd’hui
comme un paysagiste sincère,
fidèle à son instinct naturaliste et
à son expressivité fougueuse : «
Je
n’ai jamais triché avec la peinture
…
J’ai été Fauve; paraît-il, cézannien ;
tout ce que l’on voudra, j’y consens, si
j’ai d’abord été Vlaminck ! »
n
Alix Saint-Martin
Atelier Grognard, 6 avenue du Château
de Malmaison. Tous les jours
de 13 h 30 à 18h. 01 41 39 06 96
et
Je n’ai jamais triché avec
la peinture… J’ai été Fauve,
cézannien, tout ce que
l’on voudra. J’ai d’abord
été Vlaminck !
© ADAGP, P
aris
2015
© ADAGP, P
aris
2015
Chênes dans la forêt de Senonches
, Huile sur toile, 65,5 x 81cm,
vers 1937, Collection particulière.
Meules en hiver,
Huile sur toile, 46 x 61 cm, 1937-1938, Collection
particulière.