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n°46 - mars-avril 2016
5 janvier-février 2016
mai-juin 2016 - n°47
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maga z i ne
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po r t r a i t
l se présente comme un acteur, acrobate, jongleur,
danseur qui serait avant tout un joueur. Écouter Yoann
Bourgeois – tout jeune codirecteur du Centre national choré-
graphique de Grenoble – parler du cirque tel qu’il l’entend, avec
cette voix posée qui fait contrepoint aux perspectives aériennes
qu’il déploie, et l’on se sent aussitôt chez lui, en Chartreuse,
comme penché au balcon du vertige.
Gravitation
«
Mon utopie consisterait à jouer partout, jouer tout le temps…
»
Dans sa besace de voltigeur des confins, Yoann Bourgeois
promène une constellation de numéros - équilibre, jonglage,
trampoline - composant son chantier permanent de création.
Un répertoire d’esquisses qui reposent souvent sur des
dispositifs matériels particuliers. «
L’élément premier pour moi
est le rapport aux forces physiques. Travailler sur le plan mécanique
des choses.
» Comme les cubes et les trampolines de
L’Art
de la fugue
, une incarnation à deux de la musique de Bach, à
la fois aérienne et mélancolique – puisque si l’on y vole, bientôt
l’on retombe. Ou comme dans son récent spectacle,
Celui qui
tombe
, un plateau en bois de six mètres de côté, deux tonnes
en équilibre sur quelques millimètres – «
quelque chose de très
élémentaire : une boule de caravane accrochée dans un montage
remorque…
» - et dessus, six personnes : «
Elles tentent de tenir
debout. C’est déjà la problématique de notre condition humaine.
L’essentiel pour elles est d’être attentives, ensemble, aux contraintes
de la gravité. Le moindre regard a une influence sur cet équilibre.
»
Suspension
Chacun des personnages de Yoann Bourgeois est ainsi appelé
à résister à des forces contraignantes, dans «
une tentative
d’approche d’un point de suspension.
» Les trois dimensions
de l’espace, avec incursion dans la quatrième : la suspension
est également une affaire temporelle. «
Le suspens, c’est aussi
l’instant : j’essaie de rendre perceptible ce présent absolu.
» Comme
s’il cherchait à comprendre le mystère du monde sous un
angle plus émotionnel que celui des formules mathématiques.
«
Les fugues de Bach m’ont permis d’écrire le cirque autrement,
un cirque qui ne serait plus soumis à l’autorité toute-puissante
de la surenchère, de la performance, mais serait sur des lignes plus
horizontales. Cela me donne des occasions de structurer le temps,
mais aussi d’ouvrir le sens, plutôt que de l’enfermer.
» Alors,
les arabesques de trois balles blanches matérialisent des lignes
musicales, les corps qui volent paraissent soudain, l’espace
d’un rien, arrêter le temps. «
Il y a quelque chose de commun
I
Dans mes
spectacles, j’aime
qu’une situation
soit indéfinie,
qu’un enfant puisse
rire quand un adulte
est pétrifié.
J’aime assez
quand les émotions
scintillent.
entre les sports de glisse et ma pratique du cirque : un certain rapport
au mouvement initié par des flux qui nous dépassent. Le vent,
la pente, la vague… Il s’agit d’entrer à l’intérieur d’un mouvement
plutôt que de le produire.
»
Espaces
Dans le parc boisé de la Maison de Chateaubriand, Yoann
Bourgeois nous prépare un circuit à part, entre spectacle
de cirque, déambulation et exposition d’objets créés spécia-
lement pour l’occasion. «
Le parc et ses arbres nous offrent
la chance de ralentir, donc d’être attentifs autrement. Le spectateur
cheminera aussi dans mon imaginaire. Ce sera très différent de la
posture traditionnelle qui consiste à acheter un billet pour assister à
un spectacle dans un lieu déterminé.
» Il y aura là quelque chose
qui relève de la visite d’atelier, avec beaucoup de soin accordé au
partage avec le public. «
Prendre soin de ce que l’on fait est ce qu’il y
a de plus précieux dans le travail. Et cela ne va pas de soi : tout nous
invite tellement à produire avant de créer…
»
Le cirque, son cirque, est «
un art de vivre plus qu’une pratique,
un désir de jouer sa vie
». Et pour jouer, Yoann Bourgeois
a besoin d’espaces qui le dépassent : «
En ville, tout nous
ramène à la mesure humaine ; en montagne comme en mer, nous
ne sommes qu’un détail. Dans la poésie que j’essaie de développer,
l’homme n’a pas plus d’importance que l’animal ou la machine. Il en
est d’autant plus bouleversant
».
Les espaces, ce sont également les vides, le jeu au sens
mécanique. Sans lesquels aucun mouvement ne serait
possible, aucune résonance audible. Aussi, quand il évoque
le vide comme une question informulable, toujours ouverte,
on se dit qu’on tient avec Yoann Bourgeois un acrobate
zen très singulier.
n
Didier Lamare
Le dimanche 26 juin à 16 h et 19 h 30 dans le parc de la Maison de
Chateaubriand. Gratuit.
www.hauts-de-seine.fr, rubrique culture.
Le festival Solstice lui a donné carte blanche pour
imaginer un spectacle inédit et gratuit dans le parc
de la Maison de Chateaubriand à Châtenay-Malabry,
le dimanche 26 juin.
© G
éraldine
A
resteanu
Bourgeois
Yoann