mai-juin 2013 - n°29
        
        
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          HDS.
        
        
          mag
        
        
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          i n s o l i t e
        
        
          de la France. En 1949, après avoir
        
        
          lancé
        
        
          
            Art d’aujourd’hui
          
        
        
          , sorte de dé-
        
        
          fense et illustration de l’art abstrait,
        
        
          il s’attaque à la construction de sa
        
        
          villa-atelier de Meudon.
        
        
          Un théâtre de l’intime
        
        
          Sur une parcelle pareille, casca-
        
        
          dant là où les hauts de Meudon
        
        
          font de l’œil au Brimborion de
        
        
          Sèvres, n’importe quel architecte
        
        
          se serait laissé allé au « grand
        
        
          geste ». Un peu flambeur, la fa-
        
        
          çade comme un emblème, la dé-
        
        
          coupe arrogante des structures et
        
        
          la vue imprenable sur Paris… Pas
        
        
          vraiment le genre d’André Bloc –
        
        
          qui d’ailleurs n’est pas n’importe
        
        
          quel architecte… Non, lui, pour
        
        
          asseoir sa demeure qui sera aussi
        
        
          son atelier, il délaisse le haut et
        
        
          choisit de se lover dans le creux,
        
        
          façon vallon. Côté rue au bord
        
        
          de la pente, la discrétion est une
        
        
          profession de foi. Côté espace,
        
        
          la maison en V ouvert – un peu
        
        
          comme deux mains qui feraient
        
        
          offrande – s’épanouit sur le jardin
        
        
          en pente. C’est un amphithéâtre
        
        
          du murmure, un cirque du soleil
        
        
          voilé, des arènes de l’intime.
        
        
          Murailles moitié de pierre, moitié
        
        
          de verre, les deux niveaux ouvrent
        
        
          et ferment les espaces. Ceux du
        
        
          dehors, où règnent les arbres
        
        
          et les bassins. Ceux du dedans,
        
        
          salon ou bibliothèque traversés
        
        
          de lumière, chambres encloses
        
        
          dans les pénombres latérales.
        
        
          Les pierres des murs glissent
        
        
          du dedans au dehors, traversent
        
        
          les châssis métalliques des très
        
        
          hautes baies, rien finalement ne
        
        
          commence ni ne s’arrête dans ce
        
        
          lieu de vie et de création.
        
        
          Dedans, comme l’épine dorsale
        
        
          d’un monstre échappé du Mu-
        
        
          seum national d’histoire natu-
        
        
          relle, l’escalier intérieur signé
        
        
          Bloc se mesure aux courbes de la
        
        
          façade. La légèreté du dessin n’a
        
        
          d’égale que celle nécessaire au pas
        
        
          qui l’emprunte…
        
        
          
            « Un vrai cau-
          
        
        
          
            chemar de mère de famille,
          
        
        
          se sou-
        
        
          vient la propriétaire.
        
        
          
            Bloc n’avait
          
        
        
          
            pas d’enfants… Il a fallu installer
          
        
        
          
            pendant quelques années des garde-
          
        
        
          
            corps provisoires. »
          
        
        
          André Bloc était ingénieur.
        
        
          Comme Jean Prouvé. Et comme
        
        
          lui accordait aux détails tech-
        
        
          niques une attention toute parti-
        
        
          culière. Le savoir-faire ici est aussi
        
        
          souci du bien-faire, respect envers
        
        
          ce qui s’encliquette et baigne dans
        
        
          l’huile. Pour preuve, les systèmes
        
        
          métalliques de fermeture des
        
        
          baies vitrées, savant jeu de cou-
        
        
          lisse et de pivot dont la ligne joint
        
        
          l’utile à l’agréable, le fonctionnel
        
        
          à l’élégant. Perpétuant la tradition
        
        
          désormais demi-séculaire de cette
        
        
          maison qui est à la fois d’archi-
        
        
          tecte et d’artiste, d’ingénieur et
        
        
          de sculpteur, les œuvres de jeunes
        
        
          créateurs d’aujourd’hui font écho
        
        
          à celles d’artistes de jadis. Ici d’as-
        
        
          tucieuses portes de placard modu-
        
        
          lables, dont l’assemblage évoque
        
        
          les puzzles en mousse pour
        
        
          enfant ; là un dressing se dissi-
        
        
          mule derrière une somptueuse
        
        
          vague de bois ; ailleurs, c’est une
        
        
          bibliothèque aux pentes et angles
        
        
          audacieux. Si les signatures ont
        
        
          changé depuis Bloc et les années
        
        
          cinquante, l’esprit demeure.
        
        
          La brique et le pixel
        
        
          On ressort, parce que le meilleur
        
        
          est à venir, dehors. Nous voici
        
        
          au milieu des années soixante.
        
        
          Quinze ans ont passé depuis
        
        
          qu’André Bloc a construit sa mai-
        
        
          son. L’ingénieur fait architecte de-
        
        
          venu artiste a bientôt soixante-dix
        
        
          ans et va – on hésite sur le mot – :
        
        
          construire ? sculpter ? dans le jar-
        
        
          din de sa propriété deux volumes
        
        
          énigmatiques qui passeront à la
        
        
          postérité sous l’appellation hy-
        
        
          bride de « sculptures habitacles ».
        
        
          Les frontières, si tant est qu’elles
        
        
          soient nécessaires, entre archi-
        
        
          tecture et sculpture sont chez lui
        
        
          essentiellement poreuses.
        
        
          
            « Nous
          
        
        
          
            croyons à l’Unité de la création, qu’il
          
        
        
          
            s’agisse d’urbanisme, d’architecture,
          
        
        
          
            d’équipement intérieur ou d’art
          
        
        
          De part et d’autre du plan d’eau, quinze
        
        
          ans et quelques mètres séparent la sculp-
        
        
          ture habitacle de la maison atelier.