éd i t i on
janvier-février 2014 - n°33
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hds.
mag
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HDS
Pourquoi avoir
mené vos recherches
sur le pouvoir absolu ?
A.J. : Je tente de démontrer que
la monarchie française ne peut
être qualifiée d’absolue à la fin du
Moyen Âge et dans la première
moitié du XVI
e
siècle. Le concept
de pouvoir absolu est alors perçu
comme très péjoratif ! Pour don-
ner un exemple, en 1527, un
président au parlement de Paris,
Charles Guillard, ose dire à Fran-
çois 1
er
: « Se servir du pouvoir
absolu, c’est agir sans raison et
comme une bête brute ». Si l’on
se projette un siècle plus tard,
sous le règne de Louis XIV, on
observe un changement total de
ton. Le pouvoir absolu a perdu
toute connotation péjorative. On
pense à Bossuet, qui s’exclame,
pour qualifier la majesté du roi :
« Voyez un peuple immense réuni
en une seule personne. Voyez cette
puissance sacrée, paternelle, abso-
lue »
.
HDS
Comment la monarchie
française s’est-elle
transformée ?
A.J.: Avant la première moitié du
XVI
e
siècle, la religion chrétienne
structurait l’État. On considérait
que le règne était le reflet d’un
ordre juste, transcendant, instauré
par Dieu et que le roi ne pouvait
effectuer cette tâche sans aide. Les
décisions royales n’étaient exécu-
tables qu’après le filtre du débat
des conseillers et la délibération
des juges.
Ce modèle a été fracassé par la
déchirure de l’unité religieuse,
après la Réforme protestante. Le
roi s’installe alors dans un espace
politique nouveau et se pose en
arbitre des confessions. Gouverner
va consister à organiser la coexis-
tence pacifique entre protestants
et catholiques. Comment dès lors
concevoir que Dieu puisse proté-
ger un royaume religieusement
défiguré ? La seule manière est
de croire que le roi possède une
connaissance privilégiée de la
volonté de Dieu. Cette nouvelle
croyance engendrera une specta-
culaire modification du sens du
pouvoir absolu, dont Henri IV sera
le grand bénéficiaire.
HDS
Cette évolution
était-elle inéluctable ?
A.J. : Je m’élève contre l’idée
reçue selon laquelle il y aurait
une sorte de fatalité de l’évolu-
tion de la monarchie vers une
forme absolue. Du côté des ca-
tholiques comme des protestants,
Après Roberto Calasso en
2012, c’est l’historienne
Arlette Jouanna qui a reçu
le prix Chateaubriand
,
le 4 décembre dernier
à Châtenay-Malabry.
Entretien.
des modérés se sont épouvantés
des risques que le pouvoir absolu
faisait courir aux libertés, surtout
après la tragédie de la Saint-Bar-
thélemy en 1572.
HDS
De fait, la monarchie
est, aujourd’hui, souvent
assimilée à un pouvoir
tyrannique ?
A.J.: Avec la sacralisation extrême
incarnée par Louis XIV, un pro-
fond rejet du pouvoir absolu est
né au XVIII
e
siècle en France.
Le mouvement des Lumières
a accrédité cette vision péjora-
tive, que la Révolution française
a consacrée. Ce rejet est encore
perceptible aujourd’hui.
n
Propos recueillis
par Élodie d’Athis
La monarchie absolue
n’était pas une fatalité
DR
Rendez-vous à l’Institut
Depuis 1987, le prix Chateaubriand rend hommage à l’époque
et aux centres d’intérêt de l’écrivain. Il est doté de 15 000 € par
le conseil général. Attribué le 4 décembre à la Vallée-aux-Loups
(Châtenay-Malabry), le prix sera remis le 30 janvier à l’Institut
de France, quai Conti, à Paris. La cérémonie sera suivie d’une
conférence de la lauréate, Arlette Jouanna. Entrée gratuite sur
réservation au 01 55 32 13 00.
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Le Pouvoir absolu.
Naissance de
l’imaginaire
politique de la
royauté
, Gallimard,
448 pages, 27,50 €
Revivez la proclamation
du prix Chateaubriand sur
video.hauts-de-seine.net